Qui a tué mon père

Saint-Josse-Ten-Noode | Théâtre | Théâtre de la Vie

Dates
Du 15 au 26 février 2022
Horaires
Tableau des horaires
Théâtre de la Vie
Rue Traversière, 45 1210 Saint-Josse-Ten-Noode
Contact
http://www.theatredelavie.be
reservations@theatredelavie.be
+32 2 219 60 06

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Qui a tué mon père

D’après le roman d’Édouard Louis

Un jeune homme revient chez lui après des années d’absence et retrouve son père complètement détruit par ses années de travail à l’usine. Il s’interroge sur sa relation avec lui, sur les mécanismes sociaux qui ont fait de son enfance une blessure, et réfléchit aux conditions de travail qui détruisent les corps de milliers d’ouvriers.

Julien Rombaux met en scène le roman éponyme d’Édouard Louis. A travers des fragments mémoriels, le monologue viscéral d’un fils adressé à son père donne la parole à une classe sociale qui en est souvent privée.

Julien Rombaux fait siens les mots d’Édouard Louis et les amène sur scène. Pour en finir avec les sentiments de honte et d’illégitimité́ dont les classes populaires souvent souffrent, méprisées et étouffées chaque jour un peu plus depuis des années. En mettant en critique le contexte financier et culturel actuel ainsi que la violence sociale dans laquelle nous vivons, il formule notre désir d’être enfin entendus, de regarder la vie en face. Qui a tué mon père, c’est une histoire de colère et de résistance, qui place l’amour et l’humain au centre du plateau.

Mise en scène : Julien Rombaux / Collaboration artistique : Gwendoline Gauthier / Avec : Philippe Grand’Henry, Adrien Drumel, Camille Alban-Spreng / Scénographie : Boris Dambly / Costumes : Britt Angé / Création lumières : Emily Brassier / Compositeur et musicien : Camille Alban-Spreng / Régisseur plateau : Peter Flodrops / Régisseuse son : Candice Hansel / Photographie : Pierre-Yves Jortay / Diffusion : La Charge du Rhinocéros

Une production de la maison de la culture de Tournai/maison de création, en coproduction avec le Théâtre de la Vie, Mars – Mons arts de la scène, L’Ancre-Théâtre Royal. Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles – Service du Théâtre (CAPT), Centre Culturel Jacques Franck, Studio Quai 41, Centre Rosocha (Bruxelles), Centre culturel de Nivelles. Accueil en création scénographie : Le Vaisseau

Distribution

De Julien Rombaux & Gwendoline Gauthier

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Lundi 21 février 2022, par Jean Campion

Un Pavé dans la mare

Dans "Pour en finir avec Eddy Bellegueule" (2014), Edouard Louis décrit sans filtre la haine, qu’il a éprouvée pour son père. "Qui a tué mon père" (2018) laisse percer l’amour que ce sentiment masquait. Ce livre séduit les metteurs en scène. Après Stanislas Nordey, Edouard Louis a joué son propre rôle, sous la direction de Thomas Ostermeier. Julien Rombaux a vécu une jeunesse parallèle à celle de l’auteur : "Quand je retourne à la maison, je vois mon père qui a souffert de ses conditions de travail, je vois ma mère honteuse de n’avoir aucune culture." Mais il les admire sincèrement "pour leur abnégation, leur courage et leur amour imparfait mais intense." En mettant en scène ce récit autobiographique, qui débouche sur un pamphlet politique, il passe par la fiction, pour rendre hommage à son père et aux classes populaires.

"Tu appartiens à cette catégorie d’humains à qui la politique réserve une mort précoce." S’adressant à son père, Edouard décrit la dégradation physique de cet homme, cassé par sa condition sociale. Un cas exemplaire, nous fait-il sentir, en mêlant au dialogue avec ce quinquagénaire usé, presque muet, des explications qui éclairent ses souvenirs. Suivant une conviction machiste, bien ancrée dans cette petite ville du Nord de la France, le père d’Edouard a quitté l’école le plus tôt possible. Geste d’insoumission, suivi d’un court séjour dans le Sud, pour profiter de sa jeunesse. Et puis il entre à l’usine. C’est ainsi qu’on devient un homme. Travail harassant. On noie la fatigue dans l’alcool. Après de multiples cuites et engueulades, sa femme lui claque la porte au nez. Définitivement. Son père avait subi le même sort. Un terrible accident du travail lui casse le dos. Malgré ce handicap, il devra accepter un boulot de balayeur. Pour conserver ses droits sociaux.

Lorsqu’un camion fou fait exploser la voiture familiale, où étaient planqués les cadeaux de Noël, Edouard, 8 ans, fond en larmes. Pas à cause des jouets perdus. Ses pleurs traduisent l’angoisse provoquée par la fragilisation de la famille. Comment son père pourra-t-il encore les faire vivre ? Ce père autoritaire, "viril", a horreur des "cartables de princesses" et ne supporte pas que son garçon affiche des signes de féminité. Dès qu’il le voit mener la danse, dans un spectacle d’enfants, affublé d’une robe, il quitte la pièce. Cependant, quand le fiston le rejoint, il lui ouvre les bras. Scénario voisin : en entendant son ado, fan du film "Titanic", demander comme cadeau le DVD, il s’oppose catégoriquement à l’achat de ce tire-larmes. Mais le lendemain de ce refus, Edouard est fou de joie : le DVD tant désiré est là, accompagné d’autres échos du Titanic. Prisonnier de ses préjugés et de son homophobie, ce père a du mal à fendre l’armure et ne soutiendra pas son fils, en butte aux injures et aux brimades.

Philippe Grand’Henry vit le dégel du père avec une grande sobriété. Renfrogné, il encaisse en silence des critiques acerbes, puis sourit à l’évocation de certains souvenirs... Partager le plaisir de la vitesse avec son gamin ! Le décor triste et froid nous plonge dans la grisaille. En ouvrant ces portes de garage, le père confronte deux mondes totalement séparés. Retranché dans sa tanière-dépotoir, il s’isole pour bricoler. La chanson de Céline Dion, qu’il préfère, lui donnera pourtant l’audace de passer de l’autre côté.

On ne résiste pas à la fougue d’Adrien Drumel. Il note rageusement les dates, danse, chante et alterne souplement dialogue avec le père et adresses au public. D’abord très agressif, ce fils scandalisé s’attendrit et aspire avec pudeur à une réconciliation. Les ambiances musicales de Camille-Alban Spreng soutiennent cette évolution. Révolté par le mépris des énarques pour les démunis, il désigne par leurs noms les "assassins" de son père. Julien Rombaux ajoute à la liste des hommes politiques français, Vande Lanotte, Di Rupo, Michel. Cette charge politicienne est exaltante, mais superficielle et frustrante. On aimerait entendre des arguments précis et écouter la défense des accusés.
Martin Hirsch, inventeur du R.S.A, a répondu à Edouard Louis, en publiant "Comment j’ai tué son père". Cette réserve ne masque pas l’efficacité de la mise en scène et l’excellence des comédiens. Voilà un spectacle poignant qu’il ne faut pas rater.

Jean Campion

Photos :

Théâtre de la Vie