Lundi 16 septembre 2013, par Charles-Henry Boland

Quelque part, dans le champ des utopies

Nouvelle création de la Compagnie Andrés Cifuentes, Utopie ouvre sur l’univers de l’illusion, de l’espoir et du désenchantement. Succession de tableaux articulés sur la variation des ruptures, la pièce mélange les références au répertoire, musique et danse. Pour une première étape de travail, la matière se montre déjà riche. Peut-être trop.

Un grand frontispice où s’inscrit sobrement "Théâtre". A coté, une échelle, un écran de télévision, une balançoire suspendue et le mannequin fier d’une femme inconnue. Quatre comédiens : Andrès Cifuentes, Jérôme Dubois, Marie-Gaëlle Janssens, Manuela Leoneet. Cela commence par une guitare électrique et un chant suave. Tout est déjà en place pour l’utopie : les rêves désabusés sont portés par cette musique. Il y aura de l’humain et du vrai : celui qui crie après sa mère, son amour, sa patrie et son avenir. D’emblée, le jeu des acteurs est puissant, divers en expression et authentique. L’on se prépare à une solide proposition.

Un point fort d’Utopie : le travail effectué sur les différents niveaux de fiction. Les premières scènes de la pièces oscillent ostensiblement entre instants de jeu et installation de ceux-ci. Un metteur en scène ordonne, des acteurs obtempèrent bon gré mal gré, tandis qu’une technicienne modifie les lumières. Sans cesse, les comédiens brouillent les pistes en incarnant successivement personnages et artistes, si bien que l’on ne sait jamais où commence et où s’achève la fiction du théâtre. On admire la fluidité des transitions pleinement maîtrisées. Si l’art est utopie, il l’est peut-être dans sa poursuite permanente à produire du réel à partir de l’imagination.

Mais de quelle(s) utopie(s) parlons-nous ? Pris au sens large, cette notion recouvre bien des domaines. Or, il sera question d’illusion existentielle, du travail fictionnel mais également des systèmes politiques, tout ceci exprimé dans une grande liberté formelle. Les textes qui habitent la pièce sont profonds et sincères, cela est évident. Mais ils sont trop nombreux et insuffisamment unifiés pour que l’on puisse entrer dans la réflexion. Andrés Cifuentes l’a encore répété ce vendredi : il ne veut pas prendre le spectateur pour un imbécile passif, mais veut au contraire solliciter sa capacité à réfléchir sur ce qu’on lui présente. Cela est éminemment louable, mais il n’est pas certain que l’on doive s’attendre à ce que le spectateur produise du sens à la place de la création.

Bref ! Nul doute qu’il y a là matière suffisante à faire une très bonne pièce. La technique des comédiens et la maîtrise du rythme témoignent un sérieux indéniable. Cependant, la forme actuelle est traversée d’ambitions telles que l’on se perd franchement dans l’abondance. Gageons que la poursuite du travail parviendra à concrétiser un objet intelligible, puissant et profond. Au regard des précédentes créations de la compagnie, je n’ai aucune crainte à ce que semblable qualité soit bientôt au rendez-vous.

Charles-Henry Boland