Vendredi 29 mars 2013, par Céline Verlant

Quand un prénom fait toute une histoire

Dans la veine de Cuisines et dépendances, Le Dîner de cons et Le Dieu du carnage, le Théâtre des Galeries monte pour la première fois Le Prénom, inscrivant cette programmation dans la tendance à la mode de reprendre en Belgique ce qui a fait ses preuves en France, avec les « bankables » du moment et autres valeurs sûres.

On ne choisit pas sa famille, ni par conséquent, le patronyme qui lui est attaché. On le porte, qu’il nous plaise ou non, parce que c’est ainsi. Parce que c’est comme ça que les générations se perpétuent depuis des centaines d’années. Alors quand il s’agit de pouvoir « choisir » ce petit nom particulier à lui joindre, on dirait que les neurones des jeunes parents, soudain autorisés à vivre une liberté familiale intime, se mettent à péter un plomb, une durite, un câble, appelez-le comme vous voudrez, bref, à vivre un délire narcissique électrique digne d’un feu d’artifice.

Tous deux issus de l’univers du cinéma, les auteurs de cette première pièce* écrite à quatre mains ne font pas exception à la règle. Nourris de leur expérience personnelle, ils développent ici un sujet très porteur pour servir un huit clos entre cinq personnages. Il débute lorsque Vincent se rend chez sa sœur et des amis, au cinquième mois de grossesse de sa femme Anna. Il annonce le prénom qu’il va donner à son enfant, pensant qu’il s’agit d’une bonne nouvelle, et provoque un cataclysme. Chacun y va de son petit commentaire, se croyant autorisé à mettre son grain de sel, tant et si bien que la moutarde monte au nez des uns et à la barbe des autres : le buffet marocain vire à l’aigre, la méchouia tourne mi-figue mi-raisin, et le rosé devient gris.

L’écriture serrée, verbeuse, intello, le ton nerveux, et le rythme très soutenu, donnent un mélange explosif qui regorge de bons mots. Tels des cartouches, ils servent les attaques cinglantes de ces adultes au comportement régressif. Un peu comme si la grenade dégoupillée lancée par Vincent les avait soudain transformés en gamins au jardin d’enfants s’envoyant leur jouet à la figure, modifiant constamment les alliances et les pseudo-amitiés. Et l’éternel refrain « Toute vérité n’est pas bonne à dire » pointe le bout de son révolver sur chacun d’entre nous, concernés que nous sommes par les souvenirs vécus que nous rappelle la gueguerre qui se déroule sous nos yeux.

Dans son rôle, Stéphane De Groodt est un Vincent Larchet impeccable. Il offre à cet agent immobilier qui a réussi et qui est insupportablement attachant, un jeu naturaliste, nourri de l’intérieur, vécu à chaque instant. Le ton qu’il donne à ce fils chéri à sa maman qui pense que rien ne peut lui résister est d’une sobriété tellement juste que les moindres fioritures de ces partenaires paraissent presque suspectes. Nul doute que le rodage d’après première huilera joyeusement l’ensemble de cette sympathique distribution épicée. Mention spéciale à Steve Driesen (il incarne Pierre Garaud – le prof de littérature avare) pour son fonctionnement très adroit, bien qu’il soit « de gauche », avec son beau-frère de droite, Vincent. L’exercice du huis clos et le décor très frontal, à l’avant-scène, limitent les grandes trouvailles de mise en scène, qui, si elle paraît statique par moments, est agréable dans l’ensemble.

- Dis-moi, Céline, les soirées vont passer, pourquoi faut-il penser à y aller ?
- Pour découvrir LE prénom qui fait toute une histoire…

Céline Verlant

*Le film tiré de la pièce, en coproduction franco-belge, est une réussite qui évite l’écueil d’en faire du théâtre filmé. Il lui apporte même un visuel qui dynamise la mise en scène et allège les passages narrés, un mé-chouïa longuets dans la pièce.