Jeudi 5 mars 2015, par Céline Verlant

Quand un esprit sain, dans un corps pas saint, pète les plombs

Enfermé dans la fameuse prison des Plombs à Venise, Casanova, alors trentenaire, rêve de liberté. Face à cet enfermement dont il ignore les raisons, le célèbre libertin du XVIIIème siècle ressent une immense frustration, doublée d’une sensation d’injustice parce qu’elle est vécue par un homme qui fait de la liberté son moteur de vie. Même s’il aime les femmes à la folie, il leur a toujours préféré sa liberté. Pour calmer les langueurs de sa solitude, il relate au gardien le récit de ses conquêtes féminines et de ses fantasmes, désirant ardemment retrouver la soie et les velours des alcôves discrètes… Le désir n’est pas un crime, alors de quoi l’accuse-t-on se demande-t-il.

C’est le combat cérébral d’un homme contre la prison physique, mais aussi morale, instituée par les puissants de l’époque, que le texte explore. Invité dans toutes les grandes cours d’Europe, Casanova prend le thé avec Voltaire et des cuites avec Mozart. Cet amoureux de la chose érotique se moque autant de l’étiquette qui lui colle à la peau que de la vérole ; il vilipende les puritains bien-pensants, les imbéciles prétentieux et les aristocrates nantis. D’aucuns pensent parfois que Casanova (tout comme Dom Juan, dont on le rapproche, à tort) est un personnage fictionnel. Il fut pourtant bien réel. A cet égard, la pièce a le mérite de lever un voile sur des aspects moins connus de sa biographie. L’absence de sa mère et la forte présente féminine dans son éducation expliquent probablement certains aspects de son comportement envers la gent féminine. Certes, Giacomo Casanova est toujours en quête d’aventures, mais pas uniquement amoureuses. Véritable érudit, il cherche à s’enrichir l’esprit, défendant la liberté de penser et d’agir en dépit des obstacles moralisateurs de son siècle. Philosophe, provocateur au bel esprit, Casanova est l’auteur d’une autobiographie éclairante sur les rapports sociaux de son époque. Il a également écrit des pièces, des traités de mathématiques, traduit l’Iliade. Tour à tour, diplomate, espion pour Louis XV, médecin, violoniste, comédien, il a également approché l’occultisme.

L’auteur, Serge de Poucques, s’est plongé corps et âme dans l’esprit des Lumières qu’il affectionne. Il en ressort une écriture serrée, au style littéraire empreint de nombreuses pensées philosophiques. Par moments, la transposition scénique vers l’oral, de cet écrit dense et joué au rythme soutenu de la mise en scène, donne le tournis, à l’instar des cuites de Mozart. Entre deux brèves respirations, on repense alors au célèbre commentaire adressé par l’empereur Joseph II au génial Amadeus : « Trop de notes »…

Michel Kacenelenbogen tire un parti envoûtant de la salle des voûtes, dont les colonnades contraignent l’utilisation de l’espace scénique. Il a choisi d’enfermer Casanova entre un mur et les colonnes, donnant à sa mise en scène une lecture très frontale. Une excellente distribution va-et-vient dans ce couloir de pénitencier, cadencée par un sensuel va-et-vient de reins. Magnifiquement habillée par les lumières de Laurent Kaye, cette comédie libertine sans pudeur, « déconseillée aux moins de 16 ans », réussit à éviter les travers du voyeurisme cru. Quant au dépucelage casanovesque du chevronné Michelangelo Marchese, il réjouit les sens du public. Fort, le mâle rugit dans sa cage, qu’il saccage de ses mots en colère... mais jamais ne pleure, jamais ne faiblit, jamais ne défaille. Un surhomme ?

Si vous avez envie de goûter à Casanova et à la droiture de ses sentiments, rendez-vous au théâtre « du plaisir » pour faire de la luxure un art.

Céline Verlant