Dans son appartement cossu, madame Chevalier, riche octogénaire, vit seule. En froid avec sa fille, elle écoeure systématiquement les aides familiales que celle-ci engage, pour apaiser ses angoisses nocturnes. Accueillie par des remarques sarcastiques, Joëlle ne se laisse pas démonter. Longtemps chômeuse, elle est devenue auxiliaire de vie et s’accroche à son job. C’est pourquoi l’irruption de sa fille, prénommée aussi Joëlle, l’agace énormément. Mais à sa grande surprise, la vieille dame revêche embrasse l’intruse : elle prend Joëlle pour Amélie, sa petite-fille, partie, peu après sa naissance, aux Etats-Unis. Ce quiproquo va entraîner les trois femmes à jouer la comédie, à entretenir la confusion. Pour échapper à leurs destins. Des mensonges, qui paradoxalement font émerger leur vérité, à travers des relations surprenantes ou ambiguës.
Depuis que le père de la petite Chloé l’a larguée, Joëlle vit chez sa mère. Même si celle-ci la soutient du mieux qu’elle peut, elle étouffe dans cet "enclos". Humiliée par des entretiens d’embauche foireux, révoltée par les privilèges des riches, elle revendique le droit de rêver. Au moins pour sa fille. Après un long passage à vide, Joëlle, la mère, s’est ressaisie. Son travail dérègle sa vie conjugale, mais elle n’est pas prête à le lâcher. Incarnée avec une énergie farouche par Bernadette Mouzon, cette battante incite sa fille à s’armer de patience, en espérant la sortie du tunnel. Foncièrement honnête, elle s’insurge contre ses magouilles et souffre de se voir supplanter par madame Chevalier. C’est l’intérêt qui, dans un premier temps, pousse Joëlle à la fréquenter. Et puis elle s’attache à cette pseudo "granny", qui crève de solitude. Julie Duroisin traduit cette évolution avec beaucoup de justesse. Parallèlement, Jacqueline Nicolas laisse percer peu à peu le désir de vivre encore et le besoin d’aimer, cachés sous la carapace de l’acariâtre vieille dame.
A travers ces trois femmes, Catherine Anne nous sensibilise au désespoir des jeunes sans avenir, à la barrière entre les classes sociales, aux tourments des mères célibataires et aux affres du vieillissement. Cependant rien de pesant ni de tragique ! Les rebondissements qui amènent des situations cocasses, la vivacité des dialogues et l’humour décalé empêchent ces tranches de vie de sombrer dans le misérabilisme. En exploitant subtilement ce mélange d’âpreté et de légèreté, le metteur en scène Alexis Goslain donne à cette comédie des allures de conte pudique, malicieux, qui conforte l’envie de vivre.