Mardi 3 février 2015, par Céline Verlant

Quand le phénix bat de l’aile pour renaître de ses cendres professionnelles

Gonflés à bloc par les kilomètres au compteur qu’ils ne comptent plus, l’essentiel Thierry De Coster et la super-diesel Odile Matthieu forment un mélange unique qui carbure efficacement. Avançant sur les routes théâtrales de la maturité, le tandem nous emmène cette fois, en deux temps, trois mouvements, sur le chemin du travail, et met le feu aux planches avec un sujet brûlant : le burn out. De plus en plus courant, ce syndrome d’épuisement professionnel s’installe, par un processus lent et sournois, chez des travailleurs dont les lendemains finissent par déchanter, comme dans la chanson « Travailler c’est trop dur ».

L’étymologie du mot travail est dure elle aussi ; elle renvoie au "tripalium", un dispositif contraignant servant à immobiliser les grands animaux pour le ferrage ou pour les soins. Pour trouver du confort quand cette entrave ronge le bien-être, c’est un laborieux chemin de croix qui attend le pèlerin ferré à la besogne, à bout de souffle. Mais s’il est accompagné avec bienveillance, le voyage, qui rime avec courage, lui permettra un jour de renaître de ses cendres, tel le phénix heureux à la tâche. Et de quitter le nid de la dépression en déployant ses ailes neuves, aux couleurs flamboyantes.

Comme celles de ces deux comédiens-oiseaux de feu qui s’amusent à triturer le propos dans tous les sens, du plus sensible au plus amusant, au plus poétique ou absurde. Le spectacle est nourri, construit et joué de manière telle que tout y passe, sans impasse : le dialogue entre le corps et l’esprit, les rêves d’enfance et les choix d’adultes, les parents et leur métro-boulot-dodo. Ca chante, ça danse, ça pense et ça questionne à qui mieux mieux. D’hilarantes scènes et de savoureux personnages, clichés ou authentiques sont recrutés pour un emploi de belle composition : la perverse narcissique qui pratique la promotion canapé jusqu’au bout de sa clope ; les fonctionnaires coincés débordants d’amour sucré-lacté ; le mari tout sourire, un brin hautain, argumentant à coups de cuillères en bois le confort de l’employé en burn out qui profite du chômage ; le glacial recruteur au regard aussi absent que son humanité ; les employés jumeaux qui chantent joyeusement le travail idéal…

Aussi savant qu’improvisé, le processus de création est habilement mis en valeur par la mise en scène. A l’évidence, le duo a trouvé ici le bon troisième larron : Emmanuel Dekoninck. Dans un ensemble cohérent, une seule broutille, accessoire. Certains accessoires proposés par la scénographie, dont la manipulation brouille par moment le rythme, peuvent en effet paraître superflus par rapport à une écriture, un jeu et un univers clairement développés par les comédiens. Bref, si vous avez un peu froid à l’âme de votre travail, prenez rendez-vous avec Monsieur Vooruit, burn-ologue certifié : il vous expliquera comment prendre soin de vous et de votre boiler.

Céline Verlant