Mardi 28 janvier 2014, par Céline Verlant

Quand la saisissante vérité est une insaisissable réalité

Le jour de Noël, le directeur d’un lieu d’enfermement non défini, se retrouve avec un mort et une naissance sur les bras. Comment le système de surveillance a-t-il pu laisser passer ce qui pourrait être un meurtre, un viol ? Avec son subordonné, il entame une schizophrénique enquête minutieuse dans cette inquiétante institution qui abrite des résidents au matricule anonyme …

En tant que citoyen, Harold Pinter a besoin de questionner le réel à la manière d’un codage informatique binaire : « Qu’est-ce qui est vrai ? », « Qu’est-ce qui est faux ? ». A contrario, en tant qu’auteur, lorsqu’il interroge le réel à travers l’art, Pinter triture cette vision dichotomique jusqu’à souscrire à l’affirmation « qu’une chose n’est pas nécessairement vraie ou fausse ; elle peut être tout à la fois vraie et fausse ».

Pour Pinter, bien que la vérité au théâtre soit infiniment insaisissable, c’est néanmoins sa quête qui motive l’effort d’écriture. C’est précisément cette quête qui le fait tomber par hasard sur ce qui semble être la vérité. Et dès lors qu’il pense l’avoir trouvée, elle se démultiplie, se dérobe, lui indiquant qu’en art dramatique, il n’y a pas qu’une vérité, mais plusieurs…Cela provient notamment de son processus de création très ouvert : Pinter laisse naître ses personnages à partir de mots et d’images qui lui viennent. Anonymes au départ, il leur permet d’aller jusqu’au bout d’eux-mêmes. « Nos débuts ne savent jamais de quoi nos fins seront faites » dit-il.

S’il laisse vivre librement ses personnages, ce Prix Nobel de Littérature (2005) accorde cependant une attention méticuleuse à la forme d’une phrase. Sous des propos apparemment dénués de sens, des tensions contenues, des luttes de survie, des désirs retenus sont subtilement distillés : c’est le « dialogue pintérien » qui explore en finesse le dit et le non-dit. Pour lui, « le langage est un subterfuge utilisé en permanence pour recouvrir la nudité ».

Né dans un quartier londonien dans les années 30, ce fils unique de parents juifs, profondément marqué par la crise sociale et le génocide, refusa de faire son service militaire. Il écrit « Hot House » fin des années ’50. Cette comédie noire et absurde, teintée d’humour britannique, tire sa force d’une mise en forme qui n’est ni didactique, ni pédagogique. Elle évoque les dérives du pouvoir, les rapports de force, le danger de la déshumanisation, la folie. Dans un dédale de couloirs métalliques, elle est servie « à la carte » par l’excellente distribution pressentie par Marcel Delval, le metteur en scène.

Si vous n’avez pas peur du mélange des genres et des ellipses, si les univers de Shakespeare, Becket, Tarantino ou Poe font échos en vous, vous aimerez vous laisser empêtrer dans la toile d’araignée que Pinter a tissée pour vous, dans un style direct. 

Céline Verlant