Mercredi 26 novembre 2014, par Christophe Ménier

Quand la nostalgie vous mord le coeur

Il parait que ce sont dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes. La pièce La cerisaie de Tchekhov, mise en scène par Thibaut Wenger et présentée hier au Varia à Bruxelles, était l’occasion d’éprouver ce vieil adage.

Ce qui est sûr c’est qu’hier tout était vieux : à commencer par les acteurs. Dans ce cas, vieux ne veut pas dire dépassé. On sent que ces vétérans ont de la bouteille derrière eux. De vieilles bêtes de scène en somme. Francine Landrain est troublante dans le rôle de Lioubov, la propriétaire du somptueux domaine où se trouve la fameuse Cerisaie, et qui se voit contrainte de le mettre en vente publique pour éponger ses dettes dues à l’indolence d’une vie d’aristocrate où l’argent n’a pas d’importance. Poursuivie par ses souvenirs d’enfance et le fantôme de son fils mort par noyade quelques années plus tôt, Lioubov est une femme tendre, amoureuse de la vie, profondément nostalgique. L’actrice porte le texte de façon à la fois engagée et naturelle ; c’est une des principales forces de la pièce. Un beau rôle qui lui sied à merveille. Quant au frère de Lioubov, Gaïev, campé par Marcel Delval, il incarne un contre point à la fois ridicule et comique à la nostalgie de Lioubov. Personne ne le prend au sérieux, il parle trop. L’interprétation de Lopakhine, autre personnage centrale, qui tente de convaincre Lioubov de rentabiliser la propriété en la louant en différentes parcelles, tombe malheureusement dans certains travers. Mathieu Besnard, qui représente ce self-made-man aux origines paysannes, donne une lecture un peu caricaturale du parvenu sans cœur porté par une soif de revanche sur des aristocrates qui n’ont pas mérité leur fortune, n’ayant jamais travaillé de leur vie. Quant au vieux domestique Firs, il est de loin le personnage le plus attachant de la pièce. Laetitia Yalon porte le rôle avec finesse et éloquence et on se surprend à écouter attentivement ce vieillard radotant qui aurait pu rester un personnage secondaire. Pointons encore le rôle du jeune Tropimov, l’éternel étudiant révolutionnaire qui se croit au dessus de l’amour et de l’argent, interprété par Claude Schmit qui en propose une version très littérale, parfois un peu gesticulante et trop fiévreuse, mais qui n’en fait pas moins comprendre les enjeux présents dans le texte.

La mise en scène aussi était vieille. Mais cette fois vieux dans le sens de poussiéreux et éculé. La scénographie n’était pas soignée, les costumes hasardeux, le décors sorti d’un vieux grenier. On est loin de la propriété somptueuse de l’aristocratie russe de la fin du 19è siècle. Le traitement des ponts musicaux dans les changements de scène est incompréhensible et les quelques effets de lumière, fumigène, tour de magie et autre lâché de tulle sont superflus. De plus, la lecture dramaturgique de la pièce n’a rien d’originale et on peut légitiment se demander ce qui a amené Thibaut Wenger à monter cette pièce comme on l’a déjà vu montée cent fois.

Christophe Ménier