Mercredi 19 février 2014, par Céline Verlant

Quand la famille boit des verres, elle prend l’eau, sans en avoir l’air

L’Atelier Théâtre Jean Vilar a la bonne idée de nous faire redécouvrir, vingt ans après sa création, cette pièce à l’écriture pointue. Des dialogues justes, un humour piquant et une fine observation des relations familiales l’ont portée au rang de succès international : deux Molière en 1995 puis une excellente adaptation cinématographique au trois César (1997-Cédric Klapish).

La famille Ménard se réunit chaque vendredi au Père Tranquille, le café tenu par Henri, le fils aîné. Ce soir-là, elle s’y réunit pour fêter le 35e anniversaire de Yolande, épouse de Philippe, le cadet. Cadre dans une société d’informatique, celui-ci vient de passer à la télévision régionale pour la plus grande joie de sa mère, dont il est le chouchou. Bavarde et intrusive, la mère s’inquiète du célibat de sa fille Betty, la benjamine qui vient de dire ses quatre vérités à son patron. Pendant que l’on attend Arlette (la femme d’Henri), le comportement impoli de Philippe, inquiet de savoir si sa prestation télévisée était bonne, envahit l’atmosphère…

Jean-Pierre Bacri éprouve un véritable plaisir à trouver le dialogue précis, la pensée exacte, celle qui se dit en très peu de mots. En associant ce savoir-faire au talent d’Agnès Jaoui, dans les enjeux psychologiques des personnages notamment, son écriture a gagné en construction, en fond. Il ressort de cette analyse subtile, que vous trouverez naturellement une part de vous-même ou d’un membre de votre famille dans l’un deux. À la table des Ménard, on parle sans s’écouter, on sourit des petits travers de chacun et les vieilles rancunes ressurgissent dans les assiettes. Comme ils ont le chic pour faire toute une montagne des petits tracas quotidiens, le ton finit immanquablement par monter, jusqu’au renversement des habitudes relationnelles : Famille, je vous hais(me) !

Si vous avez envie de savoir qui vient de quitter qui, qui sort secrètement avec qui, et ce qui se cache dans le cadeau de Yoyo, allez boire une Suze au Père Tranquille, mais un conseil : en entrant, laissez au vestiaire votre souvenir du film, dont la réalisation et la distribution impeccables ont placés la barre très haut. Sans cela, vous risqueriez de passer à côté de cette proposition théâtrale belge, dans un décor d’époque, dont les codes scéniques sont forcément différents. Ceci fait, vous y passerez un agréable moment, en compagnie d’une sympathique distribution (choisie par Armand Delcampe) mise en scène avec efficacité par Olivier Leborgne. Une bière spéciale à Stéphanie Van Vyve, la rebelle, pour la justesse de son jeu. Santé !

Céline Verlant