Lundi 5 février 2018, par Jean Campion

Quand l’Humour soutient l’audace

Historien, auteur de BD, homme de radio et de plume, Gilles Dal séduit par son éclectisme et son humour. Pour écrire "Tout va très bien", sa première comédie, il s’est inspiré d’une expérience personnelle douloureuse. A 9 ans, son fils Raphaël est atteint d’un cancer du pied. Douze chimios, une amputation, une rechute deux ans plus tard et puis... la guérison ! Même si l’issue de cette terrible épreuve est heureuse, l’utiliser comme tremplin pour une pièce comique n’est pas évident. Pour relever ce défi, l’auteur s’est cantonné dans son rôle d’observateur. "Proche et compatissant, certes, mais observateur." Pas question de s’épancher dans des confidences intimes ni de s’approprier les souffrances de son fils. Durant ces années d’angoisse et d’espoir, Gilles Dal et son ex-épouse ont buté sur des interlocuteurs maladroits ou insensibles. Se moquer de leur comportement ridicule leur offrait des moments de détente, dans leur parcours du combattant. En les caricaturant, l’auteur nous invite à partager leurs rires.

Une boule bizarre à un pied, plusieurs scanners, la figure des médecins qui s’allonge et le diagnostic tombe. Les parents se sentent emportés par un ouragan. Tout devient dérisoire. Leur vie est cadenassée par les exigences du traitement. Du temps rongé par la maladie, mais qui entretient l’espoir. Des gens formidables les entourent, d’autres les amusent par leur stupidité. Sophie est une amie collante, qui manque de tact et d’efficacité. Gavée par Internet, elle multiplie les conseils farfelus et propose des services risibles. Prisonnière de sa bulle, la tante Brigitte trahit son indifférence, en relançant la conversation par des "A part ça ?". Déstabilisés, les parents de Raphaël ont besoin d’éclater de rire devant cette compassion mal maîtrisée. Même l’humour noir leur fait du bien. Gilles Dal n’est pas choqué par le regret professionnel du prothésiste : si on avait amputé la jambe de son fils plus haut, on aurait pu lui greffer une plus belle prothèse.

Laurence Bibot, interprète de toutes les interlocutrices du couple, caricature rebouteux, sorcière, coach en bien-être et se régale en campant une psychologue horripilante. C’est sur l’insistance de son ex-femme et, en sa compagnie, que Gilles est venu la consulter. Imbue de sa science, elle rebondit d’un mot à l’autre, pour tisser des explications sophistiquées. Exaspération croissante du patient. La psy reste zen, en déposant "les pensées toxiques dans une petite poubelle." Le rire permet à l’auteur de régler des comptes, mais aussi de témoigner sa reconnaissance, par le biais d’une cliniclown. Si elle semble de mauvaise humeur, c’est parce qu’elle se sent envahie par la tendresse des jeunes malades. Elle a besoin de décompresser. C’est pourquoi elle ronchonne et fait mine de s’intéresser aux mesquineries de la vie.

Lorsque le sort s’acharne sur Raphaël, ses parents sont séparés depuis trois ans. A travers leurs réactions face aux gens incapables de les aider, on perçoit leur solidarité. Le combat l’a ressoudée. Pour soutenir leur enfant, ils se sont imposé de se revoir quotidiennement. Maintenant que le mal est vaincu, ils discutent de leur relation. Alexis Goslain et Ariane Rousseau font sentir avec justesse que leur admiration réciproque ne reconstruit pas le couple. La mère de Raphaël voudrait que Gilles lui parle à coeur ouvert. Impossible. Il faut s’incliner devant le désamour. En revanche, chacun trouvera ses mots, pour écrire à Raphaël une lettre tonique et chaleureuse.

La mise en scène très sobre de Nathalie Uffner imprime au spectacle un rythme soutenu et favorise le contact avec le public. On éprouve de l’empathie pour ces parents, victimes de la malchance. Leur sort injuste remet en question le sens de la vie. "Tout va très bien"... Par ce titre, Gilles Dal souligne sa volonté de dédramatiser sa confrontation avec le cancer de son fils. Son esprit de dérision le protège du voyeurisme et du pathos. Même s’il n’hésite pas à forcer le trait, son témoignage frappe par sa sincérité et sa délicatesse.

Jean Campion