Mardi 26 mai 2015, par Catherine Sokolowski

Prems !

Au théâtre de l’absurde, « Le Premier » ne finira pas dernier ! La pièce maîtresse de l’oeuvre foisonnante d’Horovitz, mise en scène par Benoît Pauwels, s’intéresse au problème récurrent des files d’attente. « Si vous voulez être le premier, vous n’avez qu’à être le premier ! » ou alors… argumenter, se faufiler, marchander, manipuler, agresser, tricher, négocier, voire coucher ? Une heure d’échanges intenses et variés, bien loin de la morosité d’une file d’attente.

Rivalisant d’inventivité pour grappiller une place, cinq individus formant une queue n’ont progressivement plus qu’une idée : être le premier. Pour faire quoi ? Pour voir qui ? Pour aller où ? On ne le sait pas, l’important ne semble plus être là. Une file de cinq personnes, une seule place à l’avant, sauf si on inverse l’ordre de la queue, si on fait disparaître la file ou si on se hisse, discrètement, à la première place, stratégie choisie par l’aîné des protagoniste, le dénommé Dollan.

L’originalité de cette fable contemporaine repose aussi sur le caractère jovial des disputes qui ne disparaît jamais même au plus fort des échanges. Ainsi lorsque Arnall voit sa femme enlacer le jeune Flemming, il ne s’énerve pas. Habitué aux infidélités de Molly, il ne s’en émeut pas, il est prévenu « pas de surprises, pas de bobos ». Une « saloperie de soirée », comme dirait Dollan, qui pourtant passionne, car dans cette file, chacun se préoccupe de l’autre, une certaine justice règne le long de la ligne blanche, l’idée est d’être le premier mais par forcément au détriment des suivants.

Et puis, il y a les distractions apportées par Molly, la femme de Flemming, qui se donne à tout le monde, même si finalement, lucide, elle s’interroge : dans cette file, oui, bien sûr, on s’intéresse à elle, mais ailleurs, aurait-elle le même succès ?

Chaque comédien apporte sa petite touche à cette fable absurde et drôle, qui repose sur le jeu des acteurs, les dialogues, mais aussi, sur le langage corporel. Une scène de tango, magnifique (mais un peu courte), des scènes de lutte au ralenti, un requiem de Mozart, la pièce est riche, subtile et chaleureuse. On en vient à penser qu’il vaut mieux se battre pour la première place que s’ignorer. Un conseil, hâtez-vous, la ligne blanche débute déjà dans l’escalier !

Catherine Sokolowski