Dimanche 24 novembre 2019, par Jean Campion

Pour un suicide rentable ?

Comme la plupart des citoyens, qui ont dépassé la cinquantaine, Bernard Cogniaux et Pierre-André Itin sont préoccupés par l’héritage que nous laisserons à nos enfants. Puisque la création d’emplois durables est hypothéquée par le coût du vieillissement de la population, ils ont imaginé "Ecothanasia", un concept qui règle à la fois les problèmes de pensions et d’emplois. Le principe est simple. En acceptant de programmer le moment de votre mort, vous permettez à l’Etat de réaliser des économies sur le paiement des retraites. Réinvesti dans des projets durables, ce capital économisé soutient les initiatives de jeunes entrepreneurs. "Un mécénat post mortem". Les auteurs d’"A la vie, à la mort" s’attaquent à un tabou. Pour nous amuser, mais surtout pour nous inciter à regarder en face un avenir angoissant.

Charles et Michel sont de vieux amis, qui vivent un troisième âge dynamique. Lorsqu’ils courent, ils contrôlent scrupuleusement leurs performances. Ce matin, Charles se sent beaucoup trop vaseux pour participer au jogging prévu. Tant pis. Comme cadeau d’anniversaire, Michel lui a offert une rareté : le journal du jour...version papier. Nous sommes en 2027 ! On peut y lire un article consacré à "Ecothanasia". Ce concept écoeure Charles, alors que son ami recherche des précisions via une chaîne de télé. Ils ne sont pas sur la même longueur d’ondes. Michel est choqué par le cynisme avec lequel on envisage de liquider les vieux. Mais il est convaincu que l’on va droit dans le mur, si l’on ne trouve pas une solution réaliste. Au comble de l’indignation, Charles dénonce la monstruosité de cette offre immorale, en l’opposant à la dignité de tribus qui respectent les vieillards, gages de sagesse. Déchaîné, il clame sa volonté de s’accrocher à la vie. Désormais, il profitera des coloscopies gratuites, qu’il avait toujours boycottées.

Michel est radieux. Sa fille, titulaire de deux masters en économie, va enfin pouvoir lancer son entreprise de phyto-remédiation. Champagne ! Virginie calme son enthousiasme. La concrétisation de son projet dépend d’un accord avec "Ecothanasia". Le père blêmit. Pour permettre à sa fille de poursuivre de longues études, il a déjà hypothéqué son appartement. Doit-il consentir à un nouveau sacrifice ? Plusieurs péripéties vont amener certains protagonistes à changer de camp. Elles titillent notre curiosité, mais ne nous entraînent pas dans une intrigue solide. Les auteurs cherchent avant tout à confronter différents points de vue sur "Ecothanasia".

Leurs personnages servent à illustrer le contraste entre ces réactions. Nous n’entrons pas dans leur intimité. Virginie (Edwige Baily) est une jeune fille calculatrice, obsédée par sa réussite professionnelle. Adepte du Carpe diem, Charles (Pietro Pizzuti) entretient sa forme physique, pour prolonger sa carrière de don juan. Moins égocentrique, Michel (Alexandre Von Sivers) est un veuf qui s’efforce de rester dans le vent. Sa lucidité teintée d’amertume lui inspire quelques remarques grinçantes. Cependant Cogniaux et Itin ne trempent pas leur comédie dans l’humour noir attendu. Ils se contentent de critiquer "Ecothanasia", en se moquant d’euphémismes comme "solidarité intergénérationnelle" ou en ridiculisant la roublardise de ses porte-paroles. La mise en scène de Michel Kacenelenbogen souligne l’aisance avec laquelle ces vieux gamins ont apprivoisé écrans interactifs, casques de réalité virtuelle ou chien robot. La marche du progrès est irréversible...

Dans "Le Meilleur des mondes" (1932), Aldous Huxley décrit une dictature parfaite, où les faibles sont conditionnés pour servir l’élite. En nous imposant des images glaçantes, il défend les valeurs humanistes. Trop bienveillants, les auteurs d’"A la vie, à la mort" décrivent une solution économique scabreuse, avec une neutralité gênante. Prenant à partie le public, deux personnages justifient leur choix personnel par des raisons différentes. Complètement dépassé, le troisième croit vivre un cauchemar. Ces témoignages permettent-ils de mesurer ce qui est acceptable ?

Jean Campion