Lundi 18 octobre 2021, par Catherine Sokolowski

Pour endiguer la déferlante destructrice

Myriam Leroy, journaliste à la radio, reçoit un message de Denis sur Facebook, correspondant inconnu. Elle répond. Si les échanges débutent comme une drague un peu lourde, la situation dégénère rapidement. C’est le début d’une descente aux enfers qui va durer plusieurs années. Victime de harcèlement mais aussi d’un « raid », c’est-à-dire de déferlement de haine raciste et sexiste, la jeune femme est dévastée. L’autrice a adapté le roman qu’elle a écrit sur cette histoire pour le théâtre. Porté par deux acteurs fabuleux, Isabelle Defossé et Vincent Lecuyer, le spectacle, intelligemment mis en scène par Véronique Dumont, est une belle réussite.

Le harcèlement n’est pas assez pris en considération ni sanctionné. Peut-on se mettre à la place de quelqu’un qui vit ce calvaire ? La pièce donne une idée de ce qu’une victime peut ressentir. Un sentiment de peur, de dégoût et d’angoisse qui va crescendo jusqu’au jour où la jeune femme découvre une photo d’elle, retouchée, le visage couvert d’ecchymoses, de plaies et la bouche dégoulinante de sperme. Lorsqu’elle signale à Facebook cette photo pour le moins inconvenante, elle reçoit une réponse lapidaire : « Ils avaient examiné la photo que j’avais désignée comme contenant de la violence explicite et avaient déterminé qu’elle n’allait pas à l’encontre des standards de la communauté ». La police ne la prend pas plus au sérieux.

Pourquoi n’a-t-elle pas arrêté de répondre ? C’est la peur qui la motive. Peur que cet homme ne se venge d’une absence de réponse. Crainte des hommes en général. « Je finissais toujours par répondre…J’appréhendais la catastrophe si Denis se sentait ignoré. J’avais peur de lui, peur de ce petit format d’homme en carton…comme j’avais peur de tous les hommes au fond, des puissants et des faibles. »

Isabelle Defossé joue le rôle de Myriam Leroy. Assez neutre au départ (quand elle lit quelques passages du roman), elle va rapidement se décomposer. Très belle prestation de l’actrice qui donne corps à cette métamorphose. Quant à Vincent Lecuyer, lui aussi reprend des extraits du roman mais n’utilise pas la première personne. C’est via son attitude qu’il endosse le rôle du harceleur. Sournois, sadique, mielleux, abject, suggestif, moqueur, il tourne autour de sa victime comme un vautour autour de sa proie, sans lui laisser le moindre répit. Fabuleuse performance.

Si les choses évoluent depuis le mouvement #MeToo, on est encore loin du compte. La virtualisation de la communication a ouvert les portes à une vague de comportements inappropriés (et c’est un euphémisme) mais il semble ne pas y avoir de digue, tout au plus quelques brise-lames. Dans ce contexte, le témoignage de Myriam Leroy est essentiel. Le Théâtre de Poche accompagne d’ailleurs les profs qui voudraient conscientiser leurs élèves. En parler, c’est déjà beaucoup. Avec ce brillant spectacle coup de poing, gageons que nous sommes sur la bonne voie.