Lundi 26 janvier 2015, par Catherine Sokolowski

Pleine de grâce

Ode à la liberté, le chef-d’œuvre anticlérical de Diderot a souvent été transposé sur scène. Tout récemment encore, en 2013, Guillaume Nicloux proposait une adaptation du roman au cinéma avec Pauline Etienne dans le rôle-titre. Ici, il s’agit d’une représentation très intimiste qui prend vie sur une petite scène carrée réduite à sa plus simple expression, magnifiant le désoeuvrement d’une religieuse réfractaire. Un théâtre transformé en couvent par Dolorès Delahaut, qui prête ses traits à Sœur Suzanne, cette belle et intelligente jeune femme qui suscite instinctivement la sympathie. Une prestation impressionnante, pleine de grâce, qui incite à la réflexion sur le destin des religieuses en particulier mais également d’une manière plus large, sur la condition féminine et la privation de droits.

Il est sans doute utile de rappeler l’histoire de Suzanne, jeune fille trop jolie et trop douée, née hors mariage. Victime d’injustices depuis sa naissance, elle est contrainte d’intégrer le couvent lorsque l’amant de sa sœur décide de lui faire des avances. Mais la jeune fille, sociable et cultivée, n’a pas de vocation religieuse. Au terme de son noviciat, elle est contrainte de faire ses vœux. Avec l’aide de Manouri, le jeune avocat de son père, elle tentera de sortir d’un couvent transformé en enfer, subissant quotidiennement les foudres d’une mère supérieure artificieuse. L’acharnement physique et spirituel des locataires de Sainte-Marie ne cesseront qu’au transfert de la jeune fille vers un autre couvent dans lequel elle subira les assauts d’une mère supérieure homosexuelle trop longtemps privée du plaisir des sens.

Très épurée, l’adaptation du roman de Diderot proposée par Daniel Scahaise est de facture classique. Le spectacle repose sur la richesse du texte et l’interprétation de quatre acteurs très inspirés (Dolorès Delahaut, Stéphane Ledune, Julie Lenain et Hélène Theunissen) mis en valeur par la proximité troublante de la scène. Austérité et sobriété sont donc au rendez-vous pour dénoncer les mesures coercitives de l’Eglise du XVIII ième siècle mais aussi, de manière plus générale, pour inciter à la réflexion sur l’enfermement ou le droit des femmes. A bon entendeur, salut !