Mercredi 15 juin 2022, par Didier Béclard

Peut-on guérir de son enfance ?

Dans « Écume Knokke-le-Zoute », l’auteur et metteur en scène Ilyas Mettioui questionne la force de l’héritage familial, notre capacité à le modifier ou, à tout le moins, se l’approprier pour, simplement, choisir notre histoire.

Au milieu de blocs de béton armé, sept personnages occupent le plateau. Trois femmes, une jeune (Deborah Rouach), appelons-la Écume, fait face à sa mère (Cecilia Kankonda) et sa grand-mère (Annette Baussart). Quatre hommes : deux barbus (Benoît Gob et Mustapha El Hamel) qui frisent ou dépassent la cinquantaine. Écume les présentera plus tard comme deux versions possibles de son père. Les deux autres (David Scarpuzza et Mohamed Benaji, plus connu dans le milieu du breakdance sous le nom de Ben Fury) sont plus jeunes et la jeune femme les voit comme deux possibilités de père pour l’enfant qu’elle attend.

La grand-mère commence à réciter un poème du poète soufi Rumi (Djalal ad-Din Muḥammad Rumi ou Roumi, 1207-1273), « Tout est un » qui dit notamment « Cherche bien en toi-même ce que tu veux être, puisque tu es tout »*. Puis, elle se met à danser avec une gestuelle proche des mouvements du tai-chi. Un des jeunes hommes la rejoint, épouse ses mouvements, la remplace avant que la mère viennent, à son tour prendre le relais. Dans la continuité, comme le poème qui revient à d’autres occasions, plus tard.

La continuité – l’état présent est-il l’effet de son état antérieur et la cause de celui qui va suivre ? - est au centre du propos. « Chaque matin, on est jeté dans ce qu’on a fait la veille, on est emporté par le courant sans savoir d’où il vient », clame Écume avant de se demander si on choisit son destin puis de poser la question à ses partenaires de jeu et au public.

D’emblée, elle spoile la fin du spectacle, elle va à Knokke pour éparpiller les cendres de son père qu’elle n’a jamais connu et dont sa mère lui apprend la mort au moment-même où elle devine que sa fille est enceinte. Elle met l’urne dans un sac Aldi, pour être plus discrète, et prend le train pour La Panne, histoire que le voyage soit le plus long possible. Coxyde, Oostduinkerke, Nieuport, Westende, Middelkerke, se succèdent et à chaque arrêt de tram, elle en sait un peu plus sur qui était son père. Et manifestement sa mère ne lui a pas tout raconté.

Elle l’a rencontré sur la plage, il était maître-nageur. Mais c’était un job d’étudiant. Et il ne savait pas nager. Dès lors, était-ce un amour passionné, comme l’affirme sa mère, ou un coup d’un soir, comme rectifie la grand-mère ? Vaut-il mieux affronter un mensonge agréable ou une vérité douloureuse ?

Ce voyage initiatique le long de la Vlaamse kust amène Écume à s’adresser à son père, par le biais de ses deux versions qu’elle a à portée de main, de lui adresser des reproches – les 92.000 euros qu’il lui a laissés ne valent pas les 92.000 câlins qu’elle n’a jamais reçus -, de lui demander pourquoi il n’est jamais revenu.

Fruit d’une résidence récente au Rideau de Bruxelles, « Écume Knokke-le-Zoute » est le premier volet d’un triptyque, projet hybride de voyages et de rencontres autour du thème du destin. L’auteur et metteur en scène, Ilyas Mettioui, explique ressentir les blessures de ses parents mais il doit se contenter de ce qu’il est capable d’observer. Ce sont ses sœurs qui lui ont permis d’accéder à certaines informations, l’amenant ainsi à s’interroger sur nos façons de vivre les évolutions familiales et notre capacité à modifier, ou non, notre destin. Si tant est que le destin existe.

Ilyas Mettioui aime à rassembler des « performeurs » autour d’un cadre écrit, simple et solide, qui leur laisse une grande liberté de jeu. Le casting en apparence très hétéroclite a de quoi surprendre, en effet, tout comme certaines séquences dansées qui ne sont pas toutes utiles. En revanche, Deborah Rouach met une énergie folle à mener les groupe, sans pour autant l’éclipser, et souligne autant la force d’Écume que ses faiblesses.

Didier Béclard

* « Tout est un,

La vague et la perle,

La mer et la pierre.

Rien de ce qui existe en ce monde,

N’est en dehors de toi,

Cherche bien en toi-même

Ce que tu veux être,

Puisque tu es tout.

L’histoire entière du monde

Sommeille en chacun de nous. »

« Écume Knokke-le-Zoute » d’Ilyas Mettioui, jusqu’au 18 juin 2022, produit par le Rideau de Bruxelles mais présenté à l’Atelier 210, 02/737.16.01, lerideau.brussels.