Lundi 24 octobre 2016, par Catherine Sokolowski

Petite foire des grands idéaux

Poursuite de grands idéaux ou stratégie de guerre ? Tel est le thème abordé avec brio par la “Schieve Compagnie” qui met en scène la campagne du Parti Travailliste proche d’une victoire historique dans l’Angleterre contemporaine. Une analyse réaliste et claire qui rappelle les vrais enjeux de la politique, si souvent galvaudés au profit de gloires personnelles et autres attraits du pouvoir.

La sobriété des décors qui se résument à quelques tables, chaises et panneaux amovibles met en valeur la richesse des thèmes abordés. Un premier intérêt de cette fiction est qu’elle s’appuie sur des faits réels : l’auteur, David Hare, a pu accompagner Neil Kinnock, leader du Parti Travailliste aux portes de la victoire en 1992. Si le candidat s’appelle ici George Jones, le spectateur n’en est pas moins amené dans les coulisses d’une campagne, avec ses heurs et malheurs, allant de la gaffe à éviter à la remise en cause des idées en passant par les conflits de personnes.

Comme deuxième attrait, il y a l’analyse des enjeux réels de la politique et des moyens jugés acceptables pour y arriver. La campagne est une “guerre” et les compromis sont obligatoires. Les Travaillistes peuvent-ils utiliser les procédés des Conservateurs pour séduire l’électorat sans y perdre toute authenticité ?

Le troisième élément étudié est le rôle d’homme politique. Un leader a forcément des faiblesses. Ici, l’économie. Alors que la livre dégringole, peut-il parler de la santé, levier du Parti, toute la semaine ? Peut-il éviter de bafouiller en public en étudiant des discours par cœur sans devenir ennuyeux ? Peut-il s’isoler auprès de proches collaborateurs qui le soutiennent au risque de perdre le contact avec la base ?

Plus globalement, dans une Europe dirigée par la finance et embourbée dans un capitalisme tentaculaire, la gauche est-elle compétente ? Au sein même du Parti, le jeune conseiller aux finances est prêt à prendre le relais à la moindre faiblesse du leader charismatique en déclin.

Finalement, l’Angleterre, “perdue à cause de ses traditions”, fait actuellement l’objet de tous les débats vu son désir d’indépendance. Le spectacle ne parle pas vraiment de Brexit, sa portée est plus universelle, pourtant la situation de George Jones rappelle celle de Jeremy Corbyn, le leader actuel du Parti Travailliste, très contesté au lendemain de la victoire du Brexit.

Les acteurs calquent leur dynamisme au rythme de l’action. Si les débuts sont plutôt froids, les protagonistes deviennent de plus en plus crédibles au fur et à mesure que l’élection se rapproche et le discours final de George (Didier de Neck) est criant de vérité. Amateur de dramaturgie, le leader socialiste suggère que “tous ceux qui font de la politique devraient aller au théâtre” : un débat rassemblant les grands partis est prévu ce mercredi 26 octobre après le spectacle. Cependant, les représentants ne pourront pas se montrer aussi sincères que George et “L’absence de guerre” est une très belle occasion de lever le coin du rideau d’une scène méconnue et de rappeler que les idées doivent rester plus importantes que la stratégie.