Jeudi 1er octobre 2015, par Catherine Sokolowski

Petit mensonge d’une sainte

Et si Jeanne d’Arc n’avait jamais entendu de voix ? Et si elle les avait inventées pour parvenir à ses fins ? Car Jeanne était lucide. A une époque où l’intelligence était considérée comme l’apanage des hommes et les tâches ménagères réservées aux femmes, l’intrépide adolescente décide de se soustraire à sa condition de femme. Pour ce faire, elle prétend entendre des voix de saints qui lui confient la mission de délivrer la France. Elle devient un homme et s’emploie à convaincre son entourage de l’importance de cette mission. Une interprétation très physique d’un texte de Jacqueline Harpman par l’artiste transdisciplinaire Emilie Guillaume qui met tous ses talents au service de la révolte de Jeanne contre sa condition. Et elle le fait avec brio, certainement convaincue par la justesse de la cause, intemporelle.

Indifférente au désir et dégoûtée par le comportement de la plupart des hommes, Jeanne refuse d’être une femme : elle aurait voulu être un garçon. Les tâches assignées à ses congénères ne l’intéressent pas. Curieuse et intelligente, elle comprend qu’elle ne pourra s’épanouir dans un monde d’hommes qu’en devenant l’un d’entre eux. Cacher ses seins, éviter d’éveiller le désir et convaincre tout le monde y compris le dauphin qu’elle doit mener les troupes françaises contre l’Angleterre pour délivrer Orléans : une idée qui lui plaît. L’humour fait aussi partie du récit.

Alors Jeanne s’en va-t-en guerre. Avec une volonté qui ne se délite jamais. Le texte de Jacqueline Harpman est le récit d’une révolte. Une quête dont Jeanne, fougueuse et volontaire, sera la victime. Emilie devient Jeanne, charismatique et généreuse, cette Jeanne tellement convaincue du rôle ingrat de la femme qu’elle frôle la folie.

Et Emilie ? Comédienne, elle a d’autres flèches à son arc : de l’escrime aux arts martiaux, Emilie est également cascadeuse et acrobate. L’artiste au travail protéiforme offre ses talents à la cause de Jeanne. Pas de décors, mais de nombreux déplacements acrobatiques et maniements d’épée qui les remplacent. C’est la prestation d’Emilie que l’on retient, toute entière dévolue à servir Jeanne et sa rébellion précoce. Un spectacle original et sympathique qui mélange avec habilité la vraie histoire de Jeanne d’Arc et la stratégie surprenante de Jeanne-Emilie. A découvrir.

Catherine Sokolowski