Mercredi 21 décembre 2016, par Jean Campion

Pèlerinage tragi-comique

Le 6 avril 1920, sept veuves embarquent à Ostende sur "L’Amertume", pour se rendre au large de Saint-Pierre-et-Miquelon. Les corps congelés de leurs maris, membres de l’équipage du Titanic, ont refait surface et elles participent à leur rapatriement. Expédition tragique. Après son naufrage, le 21 mai 1920, "L’Amertume" est retrouvé sans personne à bord. Des objets (chapeau, vison, nécessaire à coudre...) ayant appartenu aux naufragées, ainsi qu’un exemplaire de "Sept veuves sur les flots" (1924) de Peter Dongle sont exposés dans le bar des Riches-Claires. L’interview de la professeure Degelorde, spécialiste des vaisseaux fantômes, que l’on peut lire dans le programme, souligne l’opacité du mystère. En s’y attaquant, la troupe déjantée du Panach’ Club cherche bien sûr à faire éclater les rires plutôt que la vérité.

Sur le pont de "L’Amertume", entre trois tonneaux et un coffre, trône un piano. Sam (Eloi Baudimont) y est enchaîné. Il accompagnera musicalement le pèlerinage funèbre. En grande tenue de deuil, des femmes émergent de la coque. Armées de brosses et de seaux, elles entretiennent le bateau. Boulot éprouvant pour des veuves condamnées à une nourriture dégueulasse et à des latrines régulièrement bouchées. L’une d’elles ne répond pas à l’appel fait par Bones, le second. Pourquoi ? Mystère. Le capitaine Kirk C. Stubbin commente cyniquement un télégramme concernant les cadavres de leurs maris. Son humour noir ne leur remonte pas le moral. Par contre, on les sent revivre, lorsqu’elles discutent de la prime d’assurances convoitée.

Durant la traversée, on apprend à les différencier. Anna Robinson est une comédienne, qui se croit constamment sur les planches. La discrétion de Bessie Charlier contraste avec l’autoritarisme d’Elizabeth Van Appeleströrm, une psychiatre neurologue, capable de terribles confusions. Juliette Manvoord ne semble pas avoir la conscience tranquille. Margaret Bloomberg est une coriace. A la suite de bagarres avec Emilie Peters, qui jalousait sa vie aisée, elle a perdu un oeil et traîne une jambe de bois. Increvable, elle échappera à une noyade et à une hache plantée dans son dos. "Il est midi, mangeons." répète régulièrement le capitaine Kirk. C’est un homme flegmatique, qui ne se laisse pas démonter par la perte d’un gouvernail. Sa principale occupation : tenter de séduire l’une ou l’autre veuve, pour ne pas rester puceau. Bones, son second, est handicapé par une irrésistible phobie des phoques.

Ces personnages caricaturaux nous font rire, mais ne soutiennent pas une progression dramatique. Comme ils ne pèsent pas sur l’action, on perd de vue l’objectif du voyage. "Abysses repetita" mélange allègrement séance de spiritisme, apprentissage du kung-fu marin, danses et chansons (mélo, tango, à la cloclo, ...), immersion d’un cadavre, affrontement d’une tempête et débouche sur une parodie d’Agatha Christie. La cascade de coups de théâtre permet d’identifier enfin les "méchants".

C’est en exploitant des personnages absurdes, agressifs, butés, féroces que le Panach’ Club a rendu délirants "In bed with the Panach’’ (2008) ou "A la recherche du sens de la vie perdu" (2014). A partir de situations anodines ou surréalistes, la troupe nous propulse dans un univers subversif. On ne retrouve malheureusement pas ce goût de la provocation et cet humour "mauvais enfant" dans "Abysses repetita". De nombreux gags (parfois attendus), l’une ou l’autre chanson marrante, des répliques grinçantes, mais aussi des signes d’essoufflement. Il aurait fallu que les personnages soient plus consistants pour que les comédiens puissent nous entraîner dans leur folie habituelle.

Jean Campion