Vendredi 22 mars 2019, par Palmina Di Meo

Partage de midi, première mise en scène de Héloïse Jadoul

Première mise en scène pour Héloïse Jadoul avec le « Partage de midi », une pièce de Paul Claudel sur la passion amoureuse, pièce restée clandestine pendant près de 40 ans. Un véritable coup de cœur pour ce texte qui a touché la comédienne au plus profond d’elle-même. Création au théâtre de la Vie en collaboration avec l’Océan Nord.

Héloïse, cette pièce n’a pas été beaucoup présentée au public d’autant que Claudel l’a cachée pendant des années, peut-être parce qu’elle est autobiographique. En quoi cette pièce te remue-t-elle à ce point alors qu’elle renferme une certaine violence...

Héloïse : Oui surtout que je monte la première version, celle de 1906 qu’il a refusé de montrer pendant 40 ans. J’ai découvert Claudel lors d’un travail au plateau par des acteurs à Paris il y 10 ans et c’est de là qu’est venu mon amour pour ce texte. Je pense qu’à la lecture elle ne m’aurait pas fait le même effet car c’est une langue qui demande à s’incarner et que je trouve belle quand qu’elle est prise en charge et qu’elle devient charnelle. Après, j’ai lu d’autres textes de Claudel que j’aime aussi mais cette pièce me touche en particulier car Claudel l’a écrite de façon autobiographique, en plein drame amoureux. On y plonge dans l’endroit de la fracture et de la douleur. Et là où on peut parfois reprocher à Claudel sa religion trop présente, dans cette pièce, son amour pour cette femme est venu chambouler toutes ses croyances.

Ce fut une histoire tragique entre eux deux…

Héloïse : Paul Claudel a rencontré une femme sur un bateau, Rosie Vetch, une polonaise, mariée. Il venait de rentrer en France. Il était consul à l’époque avec la volonté de rentrer dans les ordres. Mais il a été refusé. On lui a dit qu’il serait plus intéressant en tant que consul en Chine. Et sur le bateau pour la Chine, il rencontre cette femme. C’est une découverte absolue du désir charnel et de l’autre pour Claudel.

Il l’a retrouvée seulement des années plus tard. Elle avait été enceinte de lui…

Héloïse : Ils ont vécu une passion amoureuse. Le mari était occupé à ses affaires en Chine. Elle est tombée enceinte. Il l’a renvoyée en Europe le temps de gérer la situation mais elle a disparu dans la nature et Paul l’a cherchée. Il a fini par la retrouver mais elle a refusé de répondre à ses lettres pendant 13 ans. Un ouvrage est paru chez Gallimard « Lettres à Ysé », le nom du personnage de la pièce « Partage de midi ». Il s’agit de la correspondance entre Claudel et l’héroïne de la pièce, le déchirement des années où elle n’a pas répondu et pendant lesquelles il a écrit « Partage de midi ». 

On parle d’une langue propre à Claudel. Quelle est difficulté de cette langue pour la scène ?

Héloïse : Il y a dans l’écriture de Claudel des retours à la ligne qui sont des souffles. Il faut donc respirer à cet endroit. Nous avons énormément travaillé pour que cette langue qui est organique puisse se digérer. Il y a aussi un jeu sur les sonorités. C’est hallucinant à quel point tout est pensé et tout devient physique et charnel au point que Claudel décide quand on doit respirer. L’acteur doit chercher en lui ce que cela signifie. Par exemple si chaque mot appelle une respiration, c’est qu’il y a un état émotionnel intense et nous avons cherché ces émotions dans un vrai corps à corps avec le texte.

Tu qualifies ce texte de féminin. En quoi l’est-il ?

Héloïse : On reproche à Claudel d’être misogyne. En lisant ce texte, ce qui est flagrant c’est que Claudel a été totalement dépassé par cette femme, et même s’il voulait le nier et même s’il vient d’une éducation très catholique chrétienne, on sent qu’il a été fasciné à un point tel qu’elle lui a appris quelque chose sur lui-même. Et c’est ce qui m’intéresse dans cette pièce où oui, il y a du racisme comme c’était le cas à l’époque (et comme c’est encore le cas aujourd’hui) et oui, il y a de la misogynie, mais finalement ce n’est que de la peur de l’autre. C’est pourquoi je dis que c’est une pièce sur l’altérité. L’Autre, la femme et l’Autre, l’étranger, les Chinois, font peur (tout comme ils font peur encore aujourd’hui), mais l’Autre, c’est aussi l’endroit où on peut vraiment prendre sur soi et se découvrir. Dans la pièce il y a un mouvement où Mesa, le personnage de Claudel, va à la rencontre de son féminin où il faut entendre par féminin l’ouverture à l’Autre. Et c’est très beau.

Propos recueillis par Palmina Di Meo