Pour nos hôtes d’un soir, il est fondamental de distinguer la langue et le code graphique qui permet de traduire cette langue sur papier. Si la langue française veut perdurer, elle doit absolument être simplifiée. Convaincus de cette idée, les deux compères entreprennent de détailler les mille et une raisons qui la rendent évidente. C’est comme cela qu’on apprend qu’il y a 12 moyens de transcrire le son « s », qu’il y aurait 240 manières d’écrire un nouveau mot (« crefission ») et que dans la phrase « Les grosses chaussettes que j’ai achetées sont bien chaudes », il y a 6 marques du pluriel pour seulement deux chaussettes ! La langue turque est, quant à elle, entièrement phonétique, une simplification radicale serait donc possible. Très didactique, nos deux professeurs entreprennent d’expliquer les causes d’un tel foisonnement de règles particulières, parfois beaucoup moins nobles qu’on ne le pense. Pas facile de convaincre l’opinion publique, qui confond soutien de la langue et de son orthographe et qui y voit aussi une dimension esthétique ou une marque de reconnaissance sociale. La doxa est bien établie et suscite les débats : après le spectacle d’une durée de 55 minutes, le public est invité à partager son avis. Ce soir-là, une dame s’inquiète « Je ne veux pas qu’on touche à mon joujou ! » : fiers et passionnés, les pros de l’orthographe ne se laisseront pas faire…
Une conférence sur l’étymologie qui offre l’avantage de sortir un peu plus instruit : Arnaud Hoedt et Jérôme Piron remplissent leur contrat avec brio. Pour eux, « l’outil dépasse son seuil de convivialité car l’homme est au service de l’orthographe ». Il est temps d’agir malgré les réticences. En ce sens, le spectacle dépasse le cadre du théâtre, il s’agit d’une forme de militantisme. Dans le futur, l’orthographe (simplifiée) ne devrait plus entraîner de discrimination, ce serait effectivement une grande avancée. A méditer.