Mardi 5 juillet 2005, par Xavier Campion

Olivier Massart

Rencontre avec Victor Hugo et ce comédien, autour de thèmes toujours d’acualité dans notre société : la misère, l’injustice sociale, les conditions de détention et la peine de mort.

Olivier MassartComment s’est passé la rencontre entre « Claude Gueux », personnage de Victor Hugo, et vous ?

Cette rencontre s’est faite à l’occasion des festivités du bicentenaire de la naissance de Victor Hugo en 2002. A cette occasion était organisée à la bibliothèque de Solvay une exposition sur les travaux de Victor Hugo et son passage en Belgique : ses croquis sur la Belgique, des lectures de ses correspondances etc. Les organisateurs, M. Arty et M. Leempoel, désiraient en plus de cela une participation vivante durant cette exposition. Ils ont cherché un texte intéressant et ont choisi « Claude Gueux », qu’ils ont proposé à plusieurs comédiens et que j’ai accepté.

A partir de là, j’ai proposé à Alexandre Von Sivers, que j’avais rencontré au Conservatoire de Bruxelles, de participer à la mise en scène de ce texte. Il a accepté et nous avons réalisé un réel travail d’équipe.

A l’origine, le texte n’est pas une pièce de théâtre mais bien une nouvelle sous forme de chronique judiciaire. D’après vous, pourquoi Victor Hugo a-t-il choisi cette forme-là pour raconter cette histoire ?

Victor Hugo a 30 ans quand il écrit ce texte. Il est déjà bien ancré dans le monde des Lettres à cette époque. Le choix de cette forme lui permet d’épouser un style qui sert son histoire. Il la de manière chirurgicale, il fait une description presque ironique et froide de la situation. Il n’y a pas de romance. Hugo ne donne pas de leçon de morale, il laisse aux lecteurs le sentiment de gâchis. Cette forme permet de mettre les choses plus en perspective. Nous avons respecté cette volonté dans notre choix de mise en scène, la théâtralisation est très légère, ce qui permet de laisser venir l’histoire et les personnages dans l’imaginaire du spectateur sans lui prémâcher le travail. Nous voulions évoquer plus que montrer les personnages.


Par quels éléments de mise en scène avez-vous rendu vivante cette nouvelle ?

Tout d’abord, au moment de l’adaptation, nous avons coupé tous les éléments qu’on pouvait jouer, toujours dans le but de suggérer plus que de montrer. Ensuite, au niveau de la mise en scène, on a essayé d’interpeller le public de manière différente, on a essayé de le faire sortir des habitudes : les lumières sont directes à certains moments, le comédien les regarde directement dans les yeux.

On a également enlevé tous les éléments de temps pour rendre le texte universel et intemporel : la déshumanisation de la société, c’est sur cette clochette là qu’on a voulu frapper.

Pour ce travail il y a eu une véritable collaboration avec Alexandre Von Sivers. C’était la rencontre de deux hommes par le biais d’un troisième (Hugo) au sujet d’un quatrième (Claude Gueux) pour un cinquième (le public). On a essayé de faire un ramassis d’humanité.

Vous passez plus d’une heure seul sur scène et interprétez plusieurs personnages. Comment préparez-vous une telle performance ?

On commence par en faire beaucoup, puis on diminue. Avec Alexandre, on s’est dit que tout passait essentiellement par la voix et le rythme intérieur. Il y a dans Claude Gueux cette résolution calme d’un animal traqué. On a cherché dans l’économie et la sobriété, dans la suggestion. On a voulu raconter : un instrument simple pour une histoire simple.

Olivier MassartL’oeuvre ne dénonce pas un mais plusieurs problèmes de société toujours d’actualité : la misère, l’injustice sociale, les conditions de détention et la peine de mort. L’envie de participer à ce projet vous est-elle venue par goût artistique ou par conscience citoyenne ?

Ce sont des sujets qui me concernent, qui me chiffonnent. Je me sens concerné par le monde dans lequel je vis. Je pense qu’il est difficile de travailler dans le monde de la création sans être concerné. L’abus de pouvoir par exemple, nous pend à tous au nez. Ce qui m’intéresse est de décortiquer le processus qui mène l’homme à de telles situations.

Je n’accepte pas qu’on tue à ma place, puisque ces actes sont fait au nom de la société.

Je ne suis pas très sûr non plus qu’on me protège par les moyens de détention actuels, je ne pense pas qu’on me protège en incarcérant 1600 personnes dans un lieu qui peut en contenir 1000. La prison est aujourd’hui encore un lieu de punition et non de réinsertion. On ne se donne pas les moyens d’une perspective d’espoir. C’est trop facile de déléguer les problèmes aux politiciens qu’on élit. D’ailleurs, dans le contexte actuel, aucun programme politique ne parle des prisons. On est dans une société de répression, on se fout complètement du développement durable. Il y a une issue, il faut se demander ce que vont pouvoir faire ces gens une fois sortis de prison.

Est-ce que, comme Hugo, votre engagement dans la société dépasse le cadre artistique ?

Je pense qu’une démarche artistique est une démarche citoyenne. Je me sens concerné par la société et en parle dès que possible. J’essaie de décortiquer les situations et de tendre un miroir au spectateur pour lui permettre de se reconnaître et peut-être de reconnaître ses erreurs. On vit dans une société de « délégués ». On délègue l’éducation à l’école, ce qui permet de s’en prendre à elle si cela ne va pas. Sans qu’à un seul instant les parents se sentent responsables, ou concernés par l’éducation de leurs enfants.

La justice est déléguée à la police et on ne sait que s’en plaindre. On ne se met pas nous citoyens en question. Quelle est notre emprise sur tout ça ? Quand ; au deuxième tour en France en 2002, il a fallut choisir entre Le Pen et Chirac, ça m’a fait peur. Il y avait un risque que le pays des Droits de l’Homme soit aux mains d’un parti qui ne respecte rien de tout ça. Qui mieux que nous pouvons interpeller et les politiciens et les citoyens pour leur dire qu’il faut se préoccuper de ces problèmes ?

Pendant cette période d’élection, nous avons, avec Isabelle Defossé et Philippe Vincent, lancé l’Appel à la mobilisation citoyenne des artistes , où les artistes s’engageaient à parler aux gens dès que possible de ces problèmes. Pour leur expliquer que le vote extrémiste est un vote de peur et qu’il peut être dangereux. Nous avons récolté environ 500 signatures, ce qui était bien. Mais à peine quelques mois plus tard, j’ai rencontré certains de ces artistes qui m’ont demandé : « Alors, c’en est où ? » Ils avaient déjà délégués leur point de conscience, si cela ne marchait pas ce n’était pas de leur faute.

Voilà l’une des volontés du spectacle, laisser au spectateur un paquet de questions. Qui est réellement coupable, est-ce lui, est-ce nous ? Il ne s’agit pas de culpabiliser mais de donner à réfléchir. On essaie de sortir les gens d’une certaine apathie, de les mettre en éveil.

L’affaire Dutroux nous montre à quel point on est bouffé par la médiatisation. La presse le montre buvant son café donc tout le monde cri au laxisme... mais ce n’est pas le reflet de l’univers carcéral.

Vous avez eu l’occasion de jouer ce texte dans l’hémicycle du Sénat devant des législateurs et des ambassadeurs de pays où la peine de mort est encore appliquée. Quelle a été la réaction ?

La volonté du président du Sénat, M. Armand de Decker, à cette époque, était déjà une belle initiative et démontrait une volonté de parler de ces choses-là à des gens concernés. J’avais le sentiment d’utiliser de manière privilégiée les rouages de la démocratie. Le discours de M. de Decker après le spectacle était assez touchant ; il dénonçait le fait que, oui, certains élus se préoccupent de ces problèmes mais pas suffisamment puisqu’ils n’étaient pas porteurs de voix. Et que, oui, il fallait y être plus attentif.

A la fin de votre spectacle on se pose des questions, on a envie de comprendre, de s’exprimer. Ce spectacle a-t-il donné lieu à un débat ?

Il n’y a pas de débat public mais un débat de conscience. C’est chacun qui repart avec ses questions. Au Public , les spectateurs peuvent s’exprimer sur le spectacle qu’ils ont vu par des bulletins distribués après le spectacle, beaucoup disent : « c’est à méditer » ...qu’ils le fassent ! Il m’est arrivé d’animer des classes avant le spectacle. Les jeunes en face de moi avaient l’âge de la révolte, 16 ou 17 ans, et c’est troublant de voir à quel point ils délèguent déjà : « c’est la société qui est comme ça, qu’est-ce que je peux faire ? ». Il faut éveiller les consciences car si eux n’ont pas l’envie ou l’impression de pouvoir changer les choses, c’est dramatique ! Ils ont le droit d’interpeller les politiques, il y a des gens capables d’entendre et d’améliorer nos conditions. Sinon, ces jeunes vont gonfler encore plus la masse des voix des partis extrémistes prétextant qu’eux ne peuvent rien faire...

Propos et photos recueillis par Anne Antoni