Mercredi 12 septembre 2012, par Edmond Morrel

"Occupons-nous d’Amélie" : la marge de Jacques De Decker

Ecoutez "la marge" et "la contre-marge" de Jacques De Decker

On glose beaucoup sur ses singularités et sur bien d’autres, qu’elles soient culinaires, vestimentaires ou autres. Mais que dit-on de ses livres ? Il faudrait évidemment compiler la presse internationale, ce qui permettrait de constater que dans maints pays elle est prise davantage au sérieux qu’en francophonie. On y étudie son oeuvre plus en profondeur, en décèle les messages enfouis, voire subliminaux, les significations et connotations savantes, les soubassement philosophiques ou psychanalytiques.

"La marge" de Jacques De Decker se décline en trois versions. Le texte publié, le texte lu par l’auteur, et le commentaire improvisé par Jacques De Decker au micro d’Edmond Morrel.

"Occupons-nous d’Amélie"

Une paresse sempiternelle entache la réception des romans d’Amélie Nothomb depuis belle lurette, disons dix ans à peu près. Les commentateurs se contentent de constater qu’elle vient d’ajouter un volume au compteur. Il n’y regardent pas de plus près, et remplissent des colonnes ou du temps d’antenne avec des considérations périphériques. L’impact sociologique de l’œuvre par exemple, tâche malaisée parce que l’auteur recrute son lectorat de treize à quatre-vingt-treize ans, pulvérisant le programme que s’était donné Hergé, compatriote de la romancière, qui se contentait d’un spectre allant de sept à septante-sept ans.

Chez Nothomb, la densité du public s’accentue aux extrêmes : ses lecteurs d’âge moyen sont statistiquement moins nombreux que les jeunes, voire les très jeunes, ou les âgés, voire les très âgés. Cette singularité tient à des composantes essentielles de l’œuvre. D’une part, sa fraîcheur, sa juvénilité, sa fantaisie, de l’autre, sa réelle sagesse, la gigantesque culture qu’elle charrie, accompagnée de l’élégance de ne pas l’étaler avec morgue, mais de la distiller avec raffinement.

Tout cela fait évidemment de l’écrivaine Amélie Nothomb un réel phénomène des lettres belges, françaises, et internationales. Elle est la plus traduite, la plus appréciée aux quatre coins du monde, monde qu’elle connaît bien pour l’avoir sillonné en tous sens dès son plus jeune âge. Ce qui l’autorise à accompagner son rayonnement partout, avec une égale aisance de citoyenne de la planète, parlant le japonais, par exemple, avec une familiarité sans précédent dans les annales de la chose littéraire en langue française.

On glose beaucoup sur ces singularités et sur bien d’autres, qu’elles soient culinaires, vestimentaires ou autres. Mais que dit-on de ses livres ? Il faudrait évidemment compiler la presse internationale, ce qui permettrait de constater que dans maints pays elle est prise davantage au sérieux qu’en francophonie. On y étudie son oeuvre plus en profondeur, en décèle les messages enfouis, voire subliminaux, les significations et connotations savantes, les soubassement philosophiques ou psychanalytiques. Est-il si fortuit, par exemple, que l’un de ses titres les plus célèbres, « Stupeur et tremblement », soit emprunté à Sören Kierkegaard, le philosophe danois dont la singulière approche du mariage se retrouve chez Nothomb, notamment dans son roman « Ni d’Eve ni d’Adam » ?

Son dernier-né, « Barbe bleue », est un jalon important de son ensemble romanesque. Elle y retrouve la situation de son roman initial, « Hygiène de l’assassin », puisque le même titre aurait pu servir à propos de cette confrontation d’une jeune belge enseignante à Paris qui loue une chambre dans le septième arrondissement à un richissime hidalgo, don Elemirio, émule du célèbre sacrificateur d’épouses, et qui est bien décidée à ne pas figurer à son tableau de chasse. L’héroïne s’appelle Saturnine, ce qui nous fait souvenir qu’un des premiers livres de l’auteur, le septième très exactement, « Mercure », avait lui aussi des résonances de roman gothique. Ce qui nous amène à reconsidérer le quatorzième, « Acide sulfurique », d’un autre œil. « Barbe-bleue », vingt-et-unième titre, s’inscrirait-il dans une même constellation sulfureuse ? Ce n’est là qu’une mince allusion à une possible lecture cryptée de l’œuvre nothombienne, à laquelle invitent les multiples allusions faites dans « Barbe bleue » à Raymond Lulle, grand initié catalan du XIVème siècle sous le signe duquel se place le roman, où le soi-disant simple divertissement va de pair avec un prodigieux foisonnement de significations.

Jacques De Decker

Les "Marges" s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des "Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri" interprétées par Eliane Reyes

Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69

Référence : NAXOS 8.572530

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