Mercredi 16 novembre 2022, par Didier Béclard

Ne pas seulement mimer la solidarité

Dans « Belgium Best Country », Edgar Szoc donne la parole à ces citoyens qui ont fait le choix d’ouvrir leurs portes à des migrants abandonnés, voire malmenés, par le gouvernement. Tant sur le fond que sur la forme, la pièce fait mouche, jusqu’à rendre confiance dans le genre humain.

Retour sur les faits : en 2015, la crise migratoire bat son plein. La guerre civile en Syrie pousse des cohortes de personnes sur la route de l’exil. Les institutions européennes tergiversent sur l’attitude à adopter à l’égard de ces flots de réfugiés. Le vieux continent n’est pas prêt pour l’hospitalité.

A côté de cette inaction coupable, des citoyens s’offusquent et refusent de rester passifs face aux migrants épuisés, affamés, transis de froid, qui s’accumulent, dans le parc Maximilien à Bruxelles. La société civile prend le relais et 500 ménages bruxellois décident d’ouvrir leurs portes pour accueillir des migrants et leur offrir le gîte et le couvert.

Le mouvement prend de l’ampleur, on estime que 8.000 foyers, dans toutes les régions du pays, ont protégé des migrants des arrestations arbitraires et des expulsions, au risque d’être eux-mêmes poursuivis en justice. Et ce fut le cas pour certains d’entre eux, puisque le gouvernement de l’époque avait décidé de « criminaliser la solidarité ». Une plate-forme citoyenne se met en place pour fédérer les bonnes volontés et les besoins : hébergement mais aussi déplacements, nourriture, vêtements, ...

Edgar Szoc, ancien chroniqueur à la RTBF, actuel président de la Ligue des Droits Humains et, par ailleurs, professeur d’économie et de politique publique, qui a lui-même été hébergeur, a voulu laisser une trace de ce qui s’est passé. Selon lui, ce mouvement imprévisible et tout à fait improbable relève du miracle tant il est en décalage avec l’attitude passéiste du gouvernement.

« Belgium Best Country » - une phrase souvent entendue dans la bouche de migrants à la fin du récits des affres qu’ils ont traversés dans d’autres pays européens – s’attache à témoigner de ces expériences citoyennes au travers du regard des hébergeurs. Sans faire l’impasse sur les échecs, les sentiments ambivalents de celles et ceux qui se retrouvent tiraillés entre leur envie d’aider et les complications quotidiennes qui peuvent en résulter.

Il y a ceux que l’on appelle les transmigrants, pour qui « la Belgique est un répit pas un but » et dont l’objectif est de trouver moyen pour gagner l’Angletterre. Alors, trois ou quatre fois par semaine, ils disent « I go to chance », le mot chance signifiant hasard. Ils se les gèlent sur une aire d’autoroute en attendant un camion hypothétique. S’ils échouent, ils reviennent au petit matin, s’ils ne reviennent pas c’est soit qu’ils ont réussi, soit qu’ils se sont fait prendre et sont enfermés dans un centre fermé. On a beau leur expliquer qu’ils pourraient très bien rester et profiter de la sécurité et du confort, rien n’y fait. « On ne peut rien faire contre des rêves qui ont permis de tenir dans des situations extrêmes », explique Edgar Szoc.

Il y a les conseils donnés aux hébergeurs : ne pas servir d’alcool, éviter les gestes ambigus – c’est quoi un geste ambigu ? Il y a cette jeune fille qui n’a pas évité les gestes ambigus et qui, depuis, est devenue maman. Il y a ces voisins que l’on croyait coincés et prêts à dénoncer le crime d’hébergement mais qui se révèlent généreux, à leur manière, mais généreux.

Il y a les échecs comme cette femme qui n’a « pas trouvé les codes » pour être à l’aise avec le migrant qu’elle accueille. Comme ce couple qui n’a pas survécu à l’expérience tant la motivation était différente entre l’homme et la femme. Il y a les révélations des hébergeurs, « on donne un peu, un tout petit peu et l’on prend conscience de sa richesse ». Mais allez donc expliquer l’aspirateur de table à un Soudanais qui rêve de miettes. Mais il y a aussi toutes les réussites, les expériences positives, les remerciements, parfois intempestifs, les découvertes, la rencontre avec l’autre et, souvent, avec soi-même également.

Composée d’une série de tableaux, judicieusement mis en scène par Julie Annen, la pièce est généreuse, fluide. Le propos est fort, convaincant, interpellant, et l’écriture d’Edgar Szoc, se révèle alerte, subtile, incisive et souvent ironique. Sur le plateau, tout n’est qu’équilibre et harmonie. Les interprètes - Arnaud Botman, Marie Cavalier-Bazan, Nathalie Mellinger, Ninon Perez et Baptiste Sornin – changent de personnage à chaque intervention. Le ton est posé, juste, la présence réelle, affirmée sans excès, le jeu s’exprime dans une forme d’aisance et d’égalité entre les comédiennes et comédiens, dont aucun ne tente de tirer la couverture à soi. Tant sur le fond que sur la forme, « Belgium Best Country » est un spectacle, tout simplement, remarquable.

Didier Béclard

« Belgium Best Country » d’Edgar Szoc, mis en scène par Julie Annen, jusqu’au 26 novembre au Théâtre de Poche à Bruxelles, 02/649.17.27, www.poche.be. Le 29 novembre au Centre culturel de Huy (scolaire), le 1er décembre à Central à La Louvière.