Mardi 5 mars 2013, par Palmina Di Meo

NEO RAUCH Démiurge

Une relation physique avec la peinture

"Je ne veux pas être un ’artiste’. Je veux peindre car je ne veux pas grandir". Les toiles de Neo Rauch ressemblent aux vignettes d’une BD, aux pages d’un cahier à colorier. Certaines contiennent même des phylactères. Mais, sous ce vernis d’enfance, les symboles de la chute et de la perte du bonheur, la victoire des démons explosent en un délire onirique.
Premier artiste est-allemand accueilli à New York, c’est au tour de Bruxelles de lui rendre hommage.

Neo Rauch fait partie de ces artistes inclassables qui refusent les étiquettes et les appellations en -isme. Instinctif, il peint dans l’urgence. Il affirme qu’il ne se soucie jamais de préparer une toile ni de la finir. La perfection n’est pas son but puisqu’elle n’est pas en lui. Et elle ne l’intéresse même pas. Ce qu’il cherche à traduire au moyen de la peinture, c’est la fièvre de la rébellion, la lutte et la désillusion de la promesse du bonheur, celle dont la révolution était annonciatrice. "Car le conservatisme est toujours gagnant quel que soit le bord politique et il est impossible de trouver sa place sans le recours aux valeurs éternelles."

Les critiques ont cherché à cataloguer Rauch, entre réalisme socialiste et surréalisme, post-modernisme ou néo-conservatisme. Il n’en a cure. Les yeux cernés de feu, il affirme que ce sont ses "visions" qui l’inspirent. De ses hallucinations passagères nait une réalité fantasmagorique qui nourrit à son tour l’imaginaire du spectateur. Mais paradoxalement, ce sont toujours les mêmes fantômes qui s’approchent, imperturbables, car rien ne change vraiment au cours de l’histoire, les choses prennent simplement une "coloration" nouvelle. C’est le secret de la lecture de l’œuvre : elle n’écrit pas le passé mais "le présent du passé" car il est impossible de le scinder de sa relation à l’histoire.

Dans son atelier en verre perché sur les toits de Leipzig, le sol couvert de résidus de peinture, évoque un tableau de Jackson Pollock. De ce magma, surgissent des monstres, "des figures qui en sortent comme d’un bloc de granit" et s’imposent au créateur, lui "intiment l’ordre de les peindre". Ce sont des prémonitions mais dans ce corps à corps, l’artiste a le dernier mot, le pouvoir de "tuer, éliminer ou mettre dans un coin".

Neo Rauch aime Leipzig, sa ville natale. Elle lui parle. Son tempérament artistique s’accommode de la vision pessimiste des choses propre à l’Allemagne où "tout se crée dans l’effort", dans la crainte qu’à tout moment l’équilibre et la stabilité ne se rompent. Ses gigantesques huiles sur toile (3m sur 4.5m pour la plupart), qu’elles soient bicolores, tricolores, sombres ou aveuglantes, portent des noms évocateurs d’un mal-être post-industriel : "Le contrôle", "Convoi", "Commerce", "Bourse".
Des huiles sur papier, circulaires, de plus de 3m de diamètre, côtoient des ébauches de silhouettes réutilisées ensuite pour les huiles sur toile. Sur ces vastes médaillons, l’alchimie des noirs et des blancs, tantôt surlignée de rouge, produit d’étranges vapeurs d’où jaillit la matière de nos slogans.

L’exposition n’a pas la prétention de présenter l’œuvre complète de Rauch mais une sélection de sa production qui met l’accent sur la modernité, la technologie et les aliénations qu’elle traîne dans son sillage. La rétrospective commence par dévoiler les œuvres les plus récentes de 2012 pour remonter jusqu’en 1993. Le film réalisé par Rudij Bergmann en 2008, et projeté en boucle, nous emmène à la rencontre d’une torche vivante, un incendiaire, qui se morfond de n’avoir pas encore réalisé "LE" tableau.

Palmina DI MEO