Jeudi 18 avril 2013, par Palmina Di Meo

Mourir d’amour et "s’en prendre plein la figure"

Une femme tondue serre un enfant dans ses bras et tente d’échapper à une foule hostile. Robert Capa, photoreporter de guerre, prend ce cliché le 16 août 1944 alors que la France vient d’être libérée. Trois quart de siècle plus tard, Henning Mankell, auteur suédois de romans policiers et neveu d’Ingmar Bergman, reconstruit le puzzle d’une histoire d’amour qui causera la perte d’une famille entière.

Comme toutes les jeunes filles de son âge, Simone aime sortir le samedi soir après une semaine de travail à l’atelier de couture. Le bal populaire est à la mode. "Chez Dédé", elle rencontre Helmut, un soldat allemand qui promet de l’épouser et de l’emmener en Allemagne sitôt la guerre finie. Amoureuse, elle ne se soucie pas des filles que l’on appelle "les putains à soldats" et tombe enceinte. Lorsque les Américains débarquent, Helmut ne peut quitter la France et Simone sera jugée pour collaboration avec l’ennemi. Au-delà des humiliations qui lui sont infligées, c’est sa vie même qui est en danger.

Il a fallu plusieurs années d’investigation à Henning Mankell pour reconstituer la scène réelle et mettre un nom sur les visages figés par cette célèbre photo de guerre. Le témoignage terrible et sans pathos qu’il livre de cette période d’"épuration", questionne nos propres sentiments face au sectarisme, à la notion de "trahison", de vengeance et d’expiation.

Les relations amoureuses ou simplement amicales entre "occupants" et "occupés" ont longtemps été un sujet tabou. Par une mise en scène épurée, Daniel Benoin, capte par flashs les instants décisifs de la tragédie de cette jeune femme dont le tort majeur est d’avoir mis au monde l’enfant d’un "Boche". Les deux panneaux coulissants qui délimitent la cellule où Simone est détenue en attendant le procès des Résistants, s’ouvrent sur des tableaux de sa vie pour se refermer inexorablement sur sa prison, à la fois physique et mentale.
Le texte de Mankell, dépourvu de romantisme, tranche sans détours dans le vif du dilemme de la légitimité de la vengeance. L’intrigue nous tient en haleine jusqu’à l’issue, que l’on devine fatale. La mise en scène, efficace dans un enchaînement qui alterne présent et passé, est toutefois inégale en intensité et se dérobe au moment où le texte mériterait un soutien de sa part. La distribution, excellente dans l’ensemble, surtout pour les rôles féminins, est moins convaincantes pour les rôles du reporter et du soldat allemand.

La pièce fait émerger les problèmes psychologiques et sociaux nés de l’Occupation. Il est intéressant de savoir que les couples mixtes avoisinaient le chiffre de 250.000 en France... et environ 150.000 en Allemagne où 1.800.000 soldats français avaient été envoyés lors de la défaite de la France en 1940. Pendant des années, au-delà de la génération de la guerre, ces couples ont subi le regard accusateur de leurs voisins et ont vécu dans la honte.

Palmina Di Meo