C’est une pièce qui parle d’une pièce. À la base, un vieux texte de 1606, « The revenge’s tragedy », que les critiques attribuent en fonction des époques à Cyril Tourneur ou Thomas Middleton, voire tout simplement à un illustre inconnu. C’est une histoire de vengeance, celle de Vendice, dont la fiancée a été violée et empoisonnée (dans quel ordre ?)par le Duc neuf ans plus tôt. Un nouveau viol, cette fois-ci commis par le fils du Duc, va réveiller le désir de revanche du pauvre Vendice et le faire sortir de sa mélancolie.
Sur scène, cinq comédiens sont là pour nous parler de ce drame élisabéthain, mais aussi pour nous jouer quelques-unes de ses meilleures scènes. C’est là que les choses vont commencer à se brouiller. Très vite on ne sait plus trop qui est qui et les personnages historiques s’asseyent à la même table que les acteurs de notre époque. Plusieurs niveaux narratifs se télescopent donc dans cette mise en abyme théâtrale.
Les auteurs (les comédiens et Caroline Lamarche) ont gardé l’intrigue principale de la pièce du 17e siècle et l’ont retravaillée de manière très libre. Les tirades « shakespeariennes » cohabitent avec le langage d’aujourd’hui. Le discours est souvent très cru et met en évidence les aspects les plus durs de l’histoire : le viol, la vengeance, l’obsession, la soumission de la femme. Pourtant la pièce est aussi très drôle. On voit que les auteurs se sont beaucoup amusés autour de ce drame. Ils ont clairement l’intention de nous faire rire. Et ça marche. On est impressionnés par l’aisance avec laquelle les acteurs passent d’un rôle à un autre. De très beaux effets visuels viennent compléter le tableau et donnent à certaines scènes une ambiance d’épouvante réussie. On songera notamment à cette lumière projetant les ombres gigantesques de deux pendus sur le mur.
Cependant, à force de vouloir nous faire rire, certains personnages de la pièce sombrent parfois un peu dans le ridicule. Les acteurs assument leurs pitreries et cherchent sans doute à dépoussiérer l’histoire mais ils en font trop à certains moments. De plus, le concept comporte tout de même une faiblesse : puisque l’on ne suit jamais vraiment une histoire, on ne rentre jamais dedans. On ne peut pas oublier que ce que l’on voit est une pièce et on reste spectateur, sans vibrer avec les personnages.
On reste spectateur, mais spectateur heureux. L’humour des acteurs et l’audace de la pièce valent le détour, de même que les ambiances et la mise en scène fort bien travaillées. Ce discours là ne nous met pas du tout les oreilles en feu, bien au contraire il leur fait même plaisir.
Thomas Dechamps