Vendredi 15 octobre 2021

Mawda, ça veut dire tendresse

Etrange expérience que celle d’assister à un spectacle vivant qui naît en même temps qu’un épisode-clef du sujet qu’il traite. Une telle concordance oeuvre/évènement vaut déjà la peine qu’on y pose un oeil, et ici qu’on y laisse un morceau de coeur.

« Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne sauraient être fortuites. »

Marie-Aurore D’Awans et ses comédien.nes évitent avec brio l’écueil du pathos pour nous raconter l’histoire de Mawda Shamdin Ali, cette petite fille kurde de 2 ans abattue d’une balle tirée de l’arme d’un policier belge, lors d’une course-poursuite sordide sur la E42 que 3 ans d’enquête et de procès auront tenté de ravaler au rang de légitime défense. En passant par l’histoire de ses parents et de son frère, de leur rencontre, de leur amour, de leur parcours, c’est une réalité dure, froide et cruelle qui nous est donnée à voir. Une réalité malheureusement contemporaine, réelle, presque banale et quasiment inévitable pour de trop nombreux êtres humains nés aux mauvais endroits du globe, au mauvais moment de l’Histoire.

De la fuite du pays pour pouvoir s’aimer librement au coup de feu fatal, les difficultés de l’exil sont détaillées et exposées tantôt avec délicatesse, tantôt avec férocité, le très beau choeur des comédien.nes réinterprétant rôles et paroles des intervenants dans une parodie sensible et intelligente, sans jamais sombrer dans une caricature malvenue. Pour s’ancrer dans le paysage belge, ils s’expriment en français et en néerlandais, parfois en anglais, parfois en kurde, tout étant surtitré.

L’ensemble fait oeuvre de mémoire et de point de vue, se place sans surprise du côté des faibles, des fragiles, des pauvres, des exilés, des refusés, des pourchassés, des renvoyés-au-pays, des invisibles, des non-désirés, des sans-papiers, des sans-espoir, et, par le récit et l’analyse singulière d’un drame évitable de mille façons, convoque chez chaque spectateur (mesurant sa chance d’assister à tout ça dans les fauteuils confortables d’un théâtre chauffé) un irrépressible désir d’espérer un monde où il pourra dire « plus jamais ça ».

Xavier Benout