Lundi 26 mai 2014, par Jean Campion

Ma faiblesse et ma force

" Synovie... Si nos vies étaient notre enjeu théâtral, la matière inépuisable, singulière et dangereuse de notre théâtre." Cette hypothèse, Thibaut Nève la vérifie, dès sa première pièce. En effet, dans "Tripalium" (2008), il s’inspire d’une expérience personnelle, pour opposer les contraintes du travail à l’épanouissement de l’individu. On retrouve autofiction et univers déjanté dans "L’Homme du câble" (2009), "Toutes nos mères sont dépressives" (2011) et "Terrain vague" (2013). Une trilogie co-écrite avec Jessica Gazon, où il s’attaque à la figure maternelle. Dans "Synovie", c’est au tour de cette complice de "s’amuser avec ce miroir déformant". En faisant cohabiter narration autobiographique et fiction, elle nous propose un spectacle insolite, qui nous émeut par sa sincérité.

Même si "l’écriture ne soulage pas", Synovie a couché sur le papier son histoire et charge Maurice Sévenant, comédien de 82 ans, d’être sa voix. A quinze ans, cette ado espiègle et dynamique s’amuse à caricaturer les gestes de sa mère. Des taquineries qui soulignent leur complicité. Comme les lectures à haute voix. Synovie se sent vivre, en défendant des textes devant une maman attentive. Mais un jour, elle ne maîtrise plus son élocution. Les mots se chevauchent, sa bouche se crispe. Pour le médecin du village, cette jeune fille, qui fait du théâtre, est victime d’un blocage psychologique. Elle aime tellement la scène que le trac la paralyse. A l’instar d’un écrivain devant sa page blanche. Diagnostic confirmé par un concours de déclamations humiliant. Les passes d’une magnétiseuse se révèlent totalement inefficaces. Devant l’amplification des troubles de la motricité, on se décide à consulter un neurologue.

Celui-ci se veut rassurant. L’adolescence est une période délicate. Souffrant de spasmophilie, Synovie retrouvera un certain calme, en prenant du calcium et en respirant son propre air dans un sachet, lors des crises de tétanie. Néanmoins le mal persiste. Appelés à la rescousse, deux médecins, un grand-père et son petit-fils, vont tenter d’identifier cette maladie rare. Dystonie focale ? Fibromyalgie idiopathique ? Neurasthénie galopante ?... Chaque hypothèse est suivie d’un traitement qui les oblige à ... passer à la suivante. Même si le jeune médecin lui témoigne de l’empathie, Synovie subit ces essais thérapeutiques comme une souris de laboratoire.

Pour elle, cette maladie reste un mystère. C’est une compagne envahissante, qu’elle s’efforce d’apprivoiser. Dans six mois, une opération pourra peut-être éliminer les résidus du thymus autour de son coeur. "Je me fais à l’idée de vivre avec une tirette entre les seins, pour le restant de mes jours." En recevant son texte, Maurice Sévenant lui avait dit : "Demain, je ne serai peut-être plus là." Encore en pleine jeunesse, elle reprend la formule à son compte. Elle ne veut pas mourir, mais elle sait que la mort la guette. Incarnée avec sobriété par Laurence Warin, sa mère subit le contrecoup du drame. Constamment aux côtés de Synovie, elle la soutient dans ce combat désespérant. Mais, lorsqu’une rémission s’annonce, privée de ce rôle, elle flanche et a besoin que le vieux médecin la réconforte.

"Synovie - Ne pas s’épancher". Ce clin d’oeil du titre complet nous avertit : pas question de larmoyer ! Cette errance entre différentes médecines est canalisée par l’humour. L’enthousiasme scientifique du grand-père et du petit-fils est amusant et Jessica Gazon, sortant de son personnage contribue à la cocasserie de la scène. En revanche, la mise sur orbite de la pièce est ralentie par une succession de brèves illustrations, pas très drôles. On se lasse vite de ce défilé de perruques et de vêtements excentriques. Par sa conviction et la justesse de son jeu, Jessica Gazon force l’adhésion. Il est clair que les auteurs visent l’identification et pas le voyeurisme. Cette réalité autobiographique, transformée et jouée, incite le spectateur à retrouver son vécu, pour s’interroger sur ses rapports avec la santé, la vie et la mort.