Mercredi 24 novembre 2021, par Didier Béclard

Les méandres de la mémoire

Entre la vie et la mort, entre le réel et le virtuel, Jean-Michel d’Hoop reconstruit, tableau par tableau, les souvenirs d’une très belle cérémonie dans un monde qui n’est qu’une grande illusion. Déconcertant, lent et beau.

Un robot aux allures de scaphandre scrute la salle pendant que le public prend place. Quand le noir se fait, un bourdonnement monte en volume avant de se transformer en dérapage qui vient mourir dans le fracas d’une collision. « Je l’ai échappé belle... », se dit une voix.
La lumière donne à voir le hall d’un hôtel étrange où les réceptionnistes sont masqués et le comptoir se déplace. Un homme y pose ses valises, arpente les couloirs pour arriver dans une chambre où il découvre son double inanimé dans les draps d’un lit. Bon, il est mort ou il est pas mort ?
La question ne taraude pas que le spectateur. Vincent (c’est son nom) entreprend de remonter le fil de cette belle fête et, caméra à l’épaule, de tout enregistrer, pour « faire surgir le souvenir par l’intuition ». Débute un zapping mémoriel, comme un tableau pointilliste dont chaque touche, prise séparément, n’a pas de sens évident, ici et maintenant, et qui, au final, s’impose.
Dans son errance, Vincent (Léopold Terlinden) est flanqué des deux femmes ( Colline Libon et Taïla Onraedt, que l’on avait vue et entendue, avec beaucoup de plaisir, dans « Cabaret ») de sa vie – mais sont-elles réellement deux ou sont-ce les deux facettes d’une seule et même femme ? - et d’un prestidigitateur philosophe et blagueur (François Regout) dépêché par magie-mariage.com (non, le lien ne fonctionne pas) pour animer la fête de trop.
Tout n’est qu’énigme. Jean-Michel d’Hoop nous embarque dans les méandres de la mémoire, dans un voyage onirique déroutant, empreint de l’esthétique des films de David Lynch. A mille lieux du travail plus documentaire qu’il avait produit plus récemment (« Gunfactory » sur le commerce international des armes et « L’herbe de l’oubli » sur cicatrices de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl), il confirme sa parfaite maîtrise de l’intégration des images vidéo et du travail des marionnettes dont la présence et la personnalité sont impressionnantes.
Les interférences « techniques » et narratives sont nombreuses, à l’image de l’hippocampe, ce cheval des mers qui nomme également une structure du cerveau qui consolide les traces qui vont construire la mémoire. Pour paraphraser Marc Crommelinck, docteur en psychologie et professeur émérite en neurosciences à l’université de Louvain, qui a accompagné Jean-Michel d’Hoop dans la gestation de ce spectacle, l’hippocampe serait la plume ou l’encre qui permet l’écriture de la trace dans la mémoire.
Le voyage est déconcertant, il faut accepter d’y entrer au risque de se perdre, mais il en vaut la peine. Ne fut-ce que pour trouver la réponse à cette question existentielle : qu’est-ce qui est blanc et dans un coin ?

Didier Béclard