Vendredi 4 février 2022, par Didier Béclard

Les limites du corps et de l’âme

Présenté dans le cadre du 10e Festival D qui met en lumière la danse contemporaine à Bruxelles, « Prémisse » de Thi-mai Nguyen explore les états mentaux et les états de corps d’un chemin post-traumatique. C’est juste magnifique.

Au centre du plateau un catafalque sombre. Une jeune femme se prépare avant de s’éclater sur la piste de danse. Un homme lui prend la main et l’emmène dans un slow au milieu d’un cercle de lumière rouge. Elle le repousse hors du cercle. La scène est plongée dans le noir.
La lumière revient, le catafalque est devenu lit sur lequel une tête émerge des draps. Assise, la femme la regarde puis s’agite, gémit, cherche sa voix pour chanter (I’m in love with a) « Wonderful Girl » de The Five Satins (1956). Deux taches de sang apparaissent sur les draps. Elle se lève, danse, et sa danse nous entraîne dans les profondeurs de son âme, dans les méandres de ses souvenirs et de sa conscience...

Formée au Conservatoire national supérieur de danse de Paris, passée par Parts, l’école de danse de Anne Teresa De Kersmaeker à Bruxelles, Thi-mai Nguyen entre à 21 ans dans la compagnie Ultima Vez de Wim Vandekeybus, puis travaille avec la compagnie de Michèle Anne De Mey pour plusieurs spectacles dont « Sinfonia Eroïca », avant de rejoindre la Compagnie du hanneton de James Thierrée. Elle figure également en tant qu’actrice au générique de « Mr Nobody » de Jaco Van Dormael.
Thi-mai Nguyen s’était déjà distinguée avec « Etna », son premier solo en tant que chorégraphe, qui a été désigné Meilleur spectacle de danse de la saison 2017-2018 par le Jury des Prix de la Critique. La pièce met en scène une jeune clocharde, accrochée à son magnétophone, titubant sur la mince frontière entre la raison et l’égarement.

C’est le même principe d’entre-deux qui prévaut ici. Entre rejet et empathie, entre intimité et altérité, entre animal et humain, entre le bien et le mal, la danseuse flirte constamment avec les limites, au gré d’une espèce de chemin post-traumatique. Les états mentaux déferlent, comme des flashs, dans les états du corps. Une femme trouve un mort dans son lit mais on ne sait pas ce qu’il sait passé, ni même s’il s’est passé quelque chose. L’a-t-elle tué, a-t-elle juste fantasmé ce qu’elle aurait voulu faire ? A chacun de se faire une idée...
Créée au fil d’improvisations à partir d’une tête en cire découverte parmi des accessoires de théâtre, « Premisse » n’en est pas moins pensée à l’extrême. Le solo est puissant, déroutant, fascinant. Thi-mai Nguyen y donne la pleine mesure de son talent, comme chorégraphe, et comme danseuse.

Didier Béclard

Crédit photo : Cloé Brockmann