Lundi 20 février 2017, par Catherine Sokolowski

Les itérations de la spéculation

Une table, quelques chaises, pour certains la journée de travail semble se prolonger à l’identique. De fait, le théâtre a revêtu des allures de bureau et s’apprête à descendre dans les tréfonds de la finance. On commence à s’y habituer et on s’en réjouit. Ce n’est pas la première fois que Françoise Bloch met en scène ces milieux austères, il y a déjà eu « Grow or go », « Une société de service » et l’excellent « Money ! ». Bref, le Zoo Théâtre et la metteuse en scène se spécialisent. Mais, dans chaque cas, c’est un pan différent du monde professionnel qui est mis en exergue. Ici, partant du constat qu’une loi n’a pas abouti, trois chercheurs amateurs prennent le taureau par les cornes et s’interrogent sur les raisons du blocage. Ils décortiquent le chemin parcouru par le projet, non sans malice, avec une rigueur quasi documentaire. Edifiant !

La loi européenne qui aurait dû dresser un mur entre banques de dépôt et banques d’investissement, au lendemain de la crise de 2008, est restée lettre morte. Ce sujet peut sembler indigeste. Le cadre juridique européen n’est pas franchement comique, les banquiers sont plutôt bougons et la crise financière n’est pas très sexy. Très didactiques, les trois “chercheurs” tentent d’éclairer le public non averti. De temps en temps une note d’humour, mais la ligne reste sérieuse et documentaire. Quelques images sont projetées pour éclairer le propos. Ces messieurs se déplacent, de même que les tables qui leur servent de bureau, mais la mise en scène est assez classique et peu mobile.

Plusieurs sujets sont abordés de manière originale. Il y a notamment une adaptation des écrits de Frédéric Lordon, un éclairage sur les 20 000 lobbyistes de Bruxelles diablement proches de Schuman, une proposition de solution appelée “opération vigilance” (que nous ne dévoilerons pas ici) et finalement la rédaction d’une lettre cocasse mais assez objective à Jean-Claude (Junker).

Le titre complet de la pièce “Etudes (the Elephant in the Room)” fait allusion à un rapport de l’OCDE (2009) intitulé “The Elephant in the Room : the Need to Deal with What Banks Do”. L’expression anglaise suggère que l’on refuse de voir et de discuter d’une évidence importante.

Le sujet est intéressant, surprenant, et l’interprétation en mode semi-improvisation est brillante. Pourtant certains aspects auraient pu être améliorés. Qui sont les trois chercheurs ? Sont-ce des consultants, de simples citoyens, sont-ils mandatés ? Sur le fond, l’humour et la caricature pourraient grignoter le terrain de l’explication, une grande partie du public devant déjà être au courant des mécanismes décrits. Quant à la mise en scène, on ne retrouve pas la magie des spectacles précédents, qui s’appuyaient sur le même genre de décor. Cependant, à l’heure ou Trump décide de déréguler la finance, la pièce a le grand mérite d’épingler l’incapacité du politique à protéger les citoyens malgré les conséquences d’une crise très récente. Gageons qu’"Etudes” sera le premier volet de cette stigmatisation car nous attendons déjà le second avec impatience !