Mardi 17 décembre 2019, par Jean Campion

Les Histoires, un élixir dangereux ?

Enfant, Violette Pallaro s’interrogeait déjà sur la façon dont les adultes tentent de vivre ensemble, sans vraiment y parvenir. "Qu’est-on prêt à faire pour obtenir sa place, la modifier ou bien en changer ?". En s’emboîtant, comme les pièces d’un puzzle, les séquences drôles ou poignantes de "Tabula rasa" (2017), sa première pièce, montrent que la famille est rarement un havre de paix. "Un Loup pour l’homme" confirme notre besoin de jouer des rôles, de nous réfugier dans la fiction. Après avoir terminé l’installation du décor, les comédiens nous promettent des histoires stressantes mais nécessaires. Pour exister, narguons le loup !

"Le passé, le passé, il n’y a plus personne dans le passé. Moi, l’Etienne du passé, il ne m’intéresse pas." Un coach dynamique s’efforce de remettre en selle des gens déprimés. On ferme les yeux, on respire profondément et on devient...un hérisson, ...un lapin,...un écureuil. Chacun doit chercher sa voie dans cette forêt requinquante. Incapable d’entrer dans ce jeu, "l’écureuil" provoque les critiques de ses partenaires et le désespoir de l’animateur. Mésaventure analogue subie par un chef d’entreprise. Il a concocté un discours qui vise à rassurer et à redynamiser ses troupes. Sous le contrôle d’un collaborateur rigoureux, il essaie d’apprivoiser les éléments de langage, reflets de son ambition et de son autorité. Mais la répétition tourne au fiasco, car sa mère l’interrompt sans cesse. Elle tient tellement à ce que son fils apparaisse comme un patron qui veut être aimé.

Le décalage entre ce que nous sommes et ce que nous voulons être peut prendre des allures dramatiques. Accompagné de sa nouvelle amie, un homme croise son ex. S’il se contentait d’un échange de politesse, il la quitterait en lui laissant l’image d’un homme qui a retrouvé le bonheur. Mais les rancoeurs remontent à la surface... Poussant un landau, un couple rencontre des amis. Par une cascade de malentendus, il les entraîne dans une situation absurde et cruelle.

Violette Pallaro a entemêlé à ces scènes de fiction des témoignages d’imposteurs. En trichant avec un culot monstre, la Cubaine Rosie Ruiz réussit des temps canons, dans les marathons de New York (1979) puis de Boston (1980). Lors d’une interview, Class Relotius, un journaliste vedette du Spiegel avoue avoir tronqué la vérité. Pour plaire à ses lecteurs ! Parfois c’est sur la corde sensible que jouent les mystificateurs. Français trilingue, Frédéric Bourdin excelle dans l’imitation de voix d’adolescents. Grâce à ce talent, il prend plusieurs fois la place d’enfants disparus et profite d’un amour, dont il a été privé durant une enfance abominable. Misha Defonseca, fille d’un traître, se réfugie dans la mythomanie. Protégée par les loups, elle traverse l’Europe, pour rejoindre ses parents déportés par les nazis. "Survivre avec les loups " devient un best-seller... Scandaleux, lorsque Misha reconnaîtra avoir inventé cette histoire. Les exploits de ces tricheurs font réfléchir à leurs motivations mais aussi aux raisons de notre crédulité.

La scénographie attrayante de Boris Dambly nous fait balancer entre fiction et réalité. Forêt allégorique où rôde le loup, comptines enfantines, bruits étranges, effets de lumière titillent notre subconscient. Les acteurs par contre construisent une représentation. Ils s’adressent au public, changent de costume à vue et modifient progressivement le décor. Olivier Bonnaud, Magali Pinglaut, Lara Persain et Gaël Soudron exploitent efficacement la tension dramatique des scènes de fiction. En se glissant tout à tour dans la peau d’un imposteur, chaque comédien suscite notre perplexité. Malheureusement, même si la forêt s’étoffe petit à petit, "Un Loup pour l’homme" ne s’appuie pas sur une progression dramatique. La pièce nous fait papillonner constamment d’un jeu de rôle à la confession d’un tricheur légendaire. On aimerait qu’elle prenne son envol. Comme "Tabula rasa" qui démarre dans la douceur puis monte vers des scènes tendues, cocasses et explosives.