Vendredi 27 avril 2018, par Yuri Didion

Le dindon

Dans ce vaudeville, trois couples tournent en rond dans une danse de séduction-trahison-réconciliation sur des airs disco. Lucienne Vatelin aime son mari Crépin, et refuse de le tromper tant "qu’il ne lui en aurait pas donné l’exemple", au grand dam de Rédillon et Pontagnac, ses deux soupirants. Et Crépin Vatelin est la fidélité incarnée. C’est du moins ce que tout le monde pensait jusqu’à l’arrivée surprise de Maggy Soldignac, sa maîtresse londonienne dont il pensait s’être débarassé en retraversant la Manche. Devant le refus de Vatelin, elle menace de se tuer s’il ne la rejoint pas à l’hôtel. Il accepte donc, contraint et forcé, et se confie à son ami Pontagnac qui saisit l’occasion et prévient Lucienne. Tout ce petit monde se retrouve à l’hôtel, ainsi que le Mr Soldignac qui vient surprendre sa femme avec son mystérieux amant (qui n’est autre que Vatelin lui-même) pour pouvoir demander le divorce avec l’aide de Vatelin, son avocat. De quiproquo en péripéties, de confusions en rebondissements, l’intrigue se noue autour des couples officiels ou non. Finalement, Vatelin est pardonné, Lucienne rassurée, Rédillon fatigué... Quant à Pontagnac, "c’était écrit, [il] est le dindon".

La plongée dans les années 70 est immédiate. Costumes, décors, musiques, tout y contribue. L’ambiance est déjantée. Et le travail est précis, rien ne manque ou ne sonne faux : les boules à facettes mettent le feu au dancefloor, le jingle d’entrée de Mme Pontagnac souligne son côté mégère et donne un ton "série télé" à ses scènes, et les portes en papier claquent moins souvent, mais de manière plus jouante. Petit bémol : les paillettes et les miroirs donnent un côté "brillant" qui peut en fatiguer certains. Le texte de Feydeau là-dedans s’y retrouve pas trop mal : le côté un peu daté de certains éléments (le flagrant délit d’adultère) est gentiment moqué par l’époque investie. Le comique est de situation plus que de contrepèteries, ce qui offre à entendre une belle langue quoiqu’on puisse reprocher à Feydeau.

Ce comique de situation est tout à fait servi par la mise en scène très chargée niveau gag. Même si on les sent parfois venir, ou si le rythme est un peu cassé par moment, c’est une bonne direction d’acteurs. Un travail clairement axé comédie de divertissement, et qui ne prétend pas livrer un point de vue sur l’oeuvre. Cependant, les scènes de fortes tensions s’essoufflent parfois rapidement, ce qui est partie dû aux répliques criées par les acteurs - nécessité de style -, donc difficile à comprendre. Fort heureusement, cela fait figure d’exception, et aucune lecture préparatoire n’est nécessaire pour suivre l’intrigue sans difficulté.

Côté comédiens, le dynamisme est au rendez-vous, et l’énergie est admirable. Il faut pouvoir tenir le rythme pendant deux heures. Bravo. J’en profite pour souligner la prestation de Simon Wauters qui alterne les rôles du domestique, du groom, du maître d’hôtel et du commissaire avec justesse, énergie et évidemment, beaucoup de comique.