Vendredi 26 mars 2010, par Edmond Morrel

Le chagrin

Un très grand roman, à lire et relire comme un classique : allant à l’essentiel il est universel

"Le chagrin" de Lionel Duroy

Voici un livre bouleversant, qui démontre, si besoin en était, que la littérature, est un instrument indépassable pour investiguer la place de l’homme dans le monde, la place de l’humain dans son destin.
Il n’appartient à aucun genre…fait songer à Proust dans la manière dont chaque détail, aussi infime soit-il, éveille la mémoire, il fait aussi songer au roman « Les cendres d’Angela » par la manière dont, par le style, un homme d’âge mûr peut se replacer dans le regard de ce qu’il fut enfant, adolescent, jeune homme et renouer ainsi le passé le plus lointain à son présent, lorsqu’il se penche sur les photos et les souvenirs de sa vie…
Dans cette rencontre, Lionel Duroy nous guide dans ce livre, dans sa démarche d’écrivain, dans la nécessité vitale d’écrire pour comprendre une enfance bâtie sur les convictions nauséeuses d’extrême droite des parents qui sont tojours placés à côté de l’Histoire qui se fait sans eux, contre eux.
Comment vivre et surmonter, adulte, la honte qu’inspirent les parents, un père auquel l’auteur ne veut pas ressembler, une mère qui devient folle, dix frères et soeur enfantés dans cette famille baignée de catholicisme alors que la "Providence" ne leur vient jamais en aide lors de cette déchéance continue dans laquelle ils sombrent inexorablement.
L’écriture est magnifique, émouvante, bouleversante. On ne sort pas indemne de la lecture de ce livre. L’auteur, à cerains moments, doit insérer une sorte de « journal de l’écriture » dans le corps du roman…comme pour reprendre souffle, lorsque les scènes qui lui reviennent à la mémoire l’étouffent presque de "chagrin"...mais même là il faut continuer à écrire… écrire c’est comme respirer…

Roman sur le mensonge, sur le malentendu entre Toto et Suzanne, entre eux et l’histoire… Lionel Duroy montre la force de la démarche romanesque pour comprendre l’Histoire, en la regardant à hauteur des protagonistes qui en sont les contemporains.
Lerécit parcourt toute la seconde moitié du siècle dernier. C’est à travers le quotidien, des gestes, des vêtements, des accessoires, des jouets que le romancier reconstitue les grands épisodes de l’histoire contemporaine.

Un très, très grand livre.

Edmond Morrel

Sur le site de l’éditeur :

Au départ, c’est un couple amoureux qui convole durant l’Occupation. Le mari est issu de la noblesse désargentée ; d’une grande beauté, l’épouse aspire à une vie mondaine digne de sa récente particule. En catholiques zélés, ils donnent naissance à onze enfants, tandis que toute la maisonnée mène aveuglément un train de vie de grands bourgeois. Prêt à se lancer dans les entreprises les plus hasardeuses pour satisfaire les exigences de sa bien-aimée, le père accumule en secret des dettes exorbitantes. La chute n’en est que plus rude. Expulsion des beaux quartiers, humiliation sociale... toute la tribu est relogée dans une cité lugubre où ne tiennent aucun des meubles fabriqués sur mesure pour le bel appartement de Neuilly. La paix du ménage se fissure, tout comme l’équilibre psychologique de la mère. Commence une longue série de galères - de magouilles paternelles en crises de nerfs maternelles. Le narrateur, l’un des enfants, est le témoin épouvanté des calamités qui s’amoncellent au-dessus du foyer familial. Un chagrin qui pèsera sur ses épaules durant toute son existence. 
De 1940 à nos jours, la société française connaîtra elle aussi de grands bouleversements. Mais jamais cette famille ne sera du bon côté des événements politiques. Défenseur de Pétain sous l’Occupation, opposé de nouveau à de Gaulle lorsqu’il « abandonne » les Français d’Algérie, et pestant contre ces « gauchistes » qui, en 68, incendient Paris du haut de leurs barricades, le père est toujours à contre-courant des grands mouvements libérateurs. Il faudra plusieurs décennies au narrateur pour se défaire de l’héritage culturel familial, et parvenir enfin à se forger ses propres convictions. 
Comprendre d’où l’on vient pour parvenir à s’émanciper de son passé, telle est l’entreprise du Chagrin. Lionel Duroy s’est inspiré de son propre parcours pour écrire ce magistral roman d’initiation. Loin de montrer la face glorieuse de son existence, c’est au contraire avec un courage et une sincérité déchirants que Lionel Duroy décrit ce que tant d’autres familles taisent sur leurs origines honteuses ou inavouables. Selon une conception cyclique du temps chère à Marcel Proust, Lionel Duroy démontre que les mêmes épisodes traumatiques ne cessent de se rejouer dans notre vie présente, sous d’autres déguisements. Et souligne, avec mélancolie, la manière dont l’enfance continue à nous hanter des décennies plus tard. 




Biographie

Longtemps journaliste à Libération et à L’Événement du jeudi, Lionel Duyroy a aussi aidé à rédiger les biographies de nombreuses célébrités. Il est l’auteur d’une dizaine de romans dont Méfiez-vous des écrivains, Priez pour nous et Le Cahier de Turin. 




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