Varsovie, 10 juin 1942. Comme chaque nuit, le directeur de "La Maison des orphelins" rédige son journal dans sa chambre austère. Les Nazis le poussaient à fuir le ghetto. Refus catégorique. Comment pourraient-ils abandonner les 200 enfants juifs, qu’il sait voués aux chambres à gaz ? Pédiatre responsable, Korczak est aussi un intellectuel anticonformiste. Très longtemps, il été démangé par l’envie d’écrire une "apologie du pou". Tous les matins, il donne à boire à ses trois roses : elles sont juives et ont soif, elles aussi. Cependant son humour masque mal sa détresse devant le triomphe de la barbarie. Enseignante à l’orphelinat, Esther, qui participe à la résistance, ne comprend pas son entêtement. S’il s’échappait par les égouts, il pourrait poursuivre son oeuvre. Korczak fait la sourde oreille et lui demande de mettre en scène ses élèves dans une pièce de Rabindranath Tagore : "Amal ou la lettre du roi". Avec des pieds de plomb, Esther accepte de...la lire. Ce projet ne plaît pas davantage à Stefa, car il valorise une "rivale". Depuis trente ans, elle fait équipe avec le pédiatre. Par fidélité, elle a renoncé à s’installer en Palestine. Cette collaboration a nourri son admiration, son amour mais aussi son angoisse. Elle insiste sur les fêlures de Korczak, embarqué dans trois guerres et hanté par la mort de sa mère, dont il se sent responsable.
Esther aurait préféré monter un spectacle plus divertissant. Pourquoi pas "Le Roi Mathias 1er" de ... Janusz Korczak ? Mais elle présente avec plaisir les costumes et le scénario de la pièce de Tagore. Le sens de la dernière scène lui échappe. En donnant des explications, le pédiatre est amené à préciser sa mission : préparer les enfants à mourir dans la dignité, à ressentir la mort comme une délivrance. 22 juillet 1942. Le responsable juif du ghetto se suicide. Il refuse de choisir, chaque jour, 9000 victimes à embarquer dans les trains vers Treblinka. L’étau se resserre. Esther voudrait sauver Korczak, en prenant sa place. Mais elle bute sur sa détermination et se résout à tenter sa chance, s’il lui confie le texte des "Droits universels de l’enfant".
Ce texte, le pédagogue le rédige, en le disant à haute voix. Puis il le commente avec passion, devant une Esther qui boit ses paroles. Une séquence qui confirme que "Korczak, la tête haute" est avant tout le portrait d’un père courage et d’un précurseur de Françoise Dolto et de Boris Cyrulnik. En voyant se rapprocher l’issue fatale, Stefa et Esther s’affolent, mais ne nous entraînent pas dans leur panique. Elles ne sont pas des rouages de la progression dramatique. L’une, par ses souvenirs, l’autre par ses questions jouent le rôle de projecteurs braqués sur le héros.
Ainsi Stefa souligne son hostilité à toute distinction de races, de couleurs, de religions. Après avoir fondé un orphelinat juif en 1912, il a ouvert "Notre maison" en 1919, pour accueillir des orphelins catholiques. Ce personnage est utile, Cécile Van Snick réussit à le rendre attachant. Nous sommes touchés par sa fidélité et la tendresse qui la lie à Korczak. On s’en rend compte, lorsqu’ils évoquent les moments de bonheur, passés à "Petite rose", la ferme modèle autogérée par les enfants. Stéphanie Moriau est une Esther rebelle et idéaliste, sous l’emprise du pédagogue. Les larmes aux yeux, elle avoue que c’est un de ses discours qui l’a décidée à devenir institutrice. Par son jeu sobre, plein de retenue, Alexandre von Sivers incarne un Korczak simple et chaleureux. A 64 ans, c’est un homme usé, qui reconnaît ses difficultés à enchaîner deux idées : "La marionnette emmêle ses fils" et qui trouve un peu de réconfort dans la vodka, "un pansement contre la peur". Cependant son respect de l’enfant le rend intransigeant et combatif. Réduit à accompagner ses orphelins vers la mort, il souhaite que cette sortie du ghetto soit une apothéose. On aimerait que notre société, contaminée par le racisme décomplexé et la recrudescence de l’antisémitisme, entende ce chant d’amour.