Jeudi 12 mars 2020, par Didier Béclard

Le Festival XS n’est pas à court de surprises

Quelques zakouskis pour se mettre en bouche avant d’aborder l’édition 2020 du Festival XS qui démarre ce jeudi au Théâtre National. Vous avez trois soirées et plus de vingt formes courtes pour vous en mettre plein la vue et envisager de nouveaux horizons.

Depuis 2011, chaque année à pareille époque le Festival XS revient, trois jours durant, satisfaire la curiosité des amateurs de théâtre, danse, cirque et musique. La particularité de ce festival est de présenté uniquement des formes courtes, de petites pièces (maximum 25 minutes) qui peuvent constituer une étape de travail destinée à être développée en une forme longue ou des spectacles conçus intentionnellement dans un format court, comme des « miniatures » qui sont à ces disciplines ce que les nouvelles sont à la littérature.

Un avantage non négligeable de ce format est qu’il est possible de voir une dizaine de spectacle en une soirée ! Du stock décors à la Grande salle, du -2 au 5e étage en passant par le monte-charge ou le studio son, on change d’univers comme on change de salle et ce pour la somme modique de 15 euros. Au total, une vingtaine d’œuvres présentées en quelque 100 représentations servies par une centaine d’artistes venus de partout. Tous les soirs ce sont les mêmes spectacles qui se rejouent ce qui permet, le cas échéant, de dresser son planning sur toute la durée du festival. En marge des représentations planifiées, différentes formes sont proposées en continu de 18 à 23 heures, histoire de faire une pause ou de patienter en attendant l’objet de son désir.

Au nombre des curiosités qui émaillent l’affiche de ce festival, figure « VR_I » de la Compagnie (suisse) Gilles Jobin. À la frontière de l’art, du spectacle et de la technologie, « VR_I » immerge le public, qui devient acteur, dans un espace virtuel partagé avec des danseurs. Placé au cœur du dispositif, le spectateur est confronté à sa perception de la réalité et sa capacité à s’adapter. Doublement primés au Festival du Nouveau Cinéma de Montréal, « VR_I » a été présenté dans plus de 40 lieux en Amérique, en Asie et en Europe dans de festivals prestigieux comme le festival du film de Sundance, la Mostra de Venise, la Biennale de la Danse de Lyon ou la Brooklyn Academy of Music de New York. A ce jour VR_I est l’installation en réalité virtuelle immersive qui la plus diffusée au monde depuis 2017.

Dans une société minée par le culte de la performance et la réussite, Tripotes la Compagnie fait soufflé un vent frais bon-enfant, spontané et teinté de bienveillance sur les arts du cirque. Dans « Encore une fois », trois acrobates, une femme deux hommes, se frottent à l’idée que l’erreur est permise et peut s’avérer même source d’amusement. Ils prennent des risques – déjà en s’échangeant des balles de ping-pong de bouche à bouche - , jonglent, basculent, prennent de la hauteur se riant du danger et des difficultés. Jamais pris en défaut ou presque, et si c’est le cas, ils en rigolent, l’utilisent ou recommencent, ponctuant également leur prestation de fausses maladresses.

La Compagnie Giolisu présente « Ferocia » (2018), un solo politique, engagé, enragé, féministe. La pièce débute par l’image d’une femme suspendue tête en bas. Des voix de femmes - Simone de Beauvoir, Angela Davis, Marguerite Duras, Maguy Marin ou la Comandanta Ramona, la zapatiste du Chiapas – envahissent le plateau sur lequel la danseuse (Lisa da Boit) se déplace éclairée par à coups par un flash dont le rythme s’accélère jusqu’à produire un effet stroboscopique. La danseuse évolue dans une robe-filet avant de revêtir un manteau et un foulard, évoquant les femmes combattantes kurdes. Nourri par la révolte des partisans de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, « Ferocia » plonge dans le dilemme de l’époque face au fascisme se terre dans une passivité complice ou s’engager, voire prendre les armes, pour survivre.

Retour à l’univers circassien teinté de poésie avec « Résonance » de la Cie Hay Que. Natalia la trapéziste, Vanina l’équilibriste au fil et Foucauld le régisseur effectuent des expérimentations autour de la physique. Ils cherchent comment l’air, l’eau, peuvent influer, ou conditionner, le mouvement des corps et des agrès de cirque. Mât chinois, mât volant et trapèze travaillé avec le contrepoids humain deviennent leurs outils dans une recherche perpétuelle d’équilibre et de force.

Présentée sous le label cirque, « Cruda » du Collectif à Sens Unique se révèle une forme hybride mêlant effectivement le cirque mais également du théâtre et de la gymnastique. La pièce s’inspire du propre parcours de son interprète Constanza Sommi, ancienne gymnaste de haut niveau, très douée mais pas assez parfaite pour marquer les esprits. Son corps est sorti des codes qui le formataient à coups d’entraînement intensif du temps de sa splendeur. Un passage à vide et son addiction aux sucreries n’ont guère épargné son physique et sa féminité. Dans les acrobaties, on sent que la technique est toujours présente même si la forme et le souffle ne suivent plus toujours. Pleine d’auto-dérision, elle triture ses cuisses « flasques » et les bourrelets qu’elle tente de dissimuler sous un élastique d’entraînement. Et elle se libère des diktats passés, exhibant ses défauts elle affirme cruement qu’elle aime son corps et qu’elle n’est plus la femme trop émotive, trop grosse, trop mince...

Dans « Mais vous troublez mal, je suis un.e novice pardon » de la Cie Gazon-Nève, des hommes et des femmes au lok défiant tous les codes sexués arpentent la piste de danse plongée dans une lumière bleutée et bercée par les notes d’une chanteuse au clavier. Les spectateurs sont accueillis par leur prénom. Ils sont quinze sur le dance floor à se produire dans ce night club fantasmé, quinze interprètes qui chantent a cappella, échangent les messages qui tracent le chemin de l’amour naissant jusqu’à la séparation, qui démontent les stéréotypes imposés par une société néolibérale, explorent leurs identités. L’exploration des nuances du genre s’engouffre dans une brèche « nécropolitique » au son de « I wanna be your dog » de Iggy Pop pour se vautrer dans la décadence sous le leitmotiv « faire la fête à en crever ».

« Lo Stupro/Corps » juxtapose deux pièces signées d’une part Franca Rame et Dario Fo et, d’autre part, Médéa Anselin. Dans la première, une femme (Alice Valinducq) dénonce une injustice, un viol collectif dans une camionnette. Se faisant, elle libère une parole et initie un mouvement qui va prendre forme sur le plateau et, espérons-le, dans l’esprit du public. Elle est seule en scène, épiée par quatre silhouettes, immobiles derrière un rideau. Elle prennent peu à peu vie et la lumière alors qu’elle se démène dans la pénombre pour extérioriser sa révolte et envisager la résilience. Si le dispositif peut heurter, il bouscule suffisamment de certitudes pour combattre l’indifférence.

Didier Béclard