Lundi 17 novembre 2014, par Catherine Sokolowski

Lakshmi et lacquemants

Adaptée du roman visionnaire de Nicolas Ancion sorti en 2009, la pièce « L’homme qui valait 35 milliards » a été conçue en octobre 2012, sombre période pendant laquelle Lakshmi Mittal décidait de fermer la phase à chaud de la sidérurgie liégeoise. Intemporelle parce qu’elle met Liège à l’honneur, l’adaptation est subtile, dynamique, déjantée, militante, mais surtout, aussi chaleureuse que la ville qu’elle dépeint. Et dans un contexte de crise économique qui perdure, les évènements qu’elle décrit sont malheureusement toujours d’actualité. Un petit bijou socio-politique liégeois.

Le spectacle s’ouvre sur un concert : cinq chanteurs et musiciens évoquent la crise économique, parlent de la richesse qui s’accumule chez certains et disparaît chez les autres. On assiste ensuite à un kidnapping, celui de Lakshmi Mittal, dont l’ambiance est très bien rendue par les vidéos projetées sur l’arrière de la scène. Flashback. Pourquoi Lakshmi Mittal a-t-il été enlevé ? Tenez-vous bien l’histoire est rocambolesque !

Roger Moors, artiste plasticien complètement inconnu, est contraint de trouver un emploi « correct ». Or une place de professeur à l’académie des beaux-arts se libère. Pour l’obtenir, avoir sa carte du parti ne suffira pas, il faudrait aussi concevoir une œuvre mémorable. C’est en regardant la télé qu’il se rappelle de son vieil ami Patrick, ouvrier chez Arcelor Mittal, interviewé sur la fermeture des hauts-fourneaux. Lumière ! Roger va concevoir une œuvre gigantesque, somme de copies d’œuvres existantes (« Urinoir » de Duchamp, empaquetage façon Christo, nus de Spencer Tunick…) signée par Monsieur Mittal himself ! Et pour mener à bien ce projet, il est obligé de kidnapper le grand patron indien.

Compagnons d’infortune, Roger, Patrick et Marion, journaliste au Vlan, vont organiser et réaliser ce projet impossible, dont au moins une partie est vraie : les métallos ont bien posé dans le plus simple appareil un samedi du mois de juin 2012, photo de foule à la Spencer Tunick, symbolisant l’état dans lequel ils allaient se retrouver après la fermeture de l’usine.

Mélange de disciplines, théâtre, musique et chant live, création vidéo, le spectacle porté par trois comédiens débordant d’énergie parle d’un drame sur un ton léger, drôle, décalé. Une histoire incroyable qui pourtant semble vraie. Flashback, partage de rôles, vidéos, plusieurs procédés pour dénoncer un drame, celui des métallurgistes en passe de se retrouver chômeurs en cette fin de 2012. Un spectacle indescriptible, avec un moment d’anthologie, celui où Roger crie son désespoir : déboussolé parce qu’il n’aura pas sa place de prof à l’académie, il dépeint une vision très noire de la Cité ardente et de ses habitants mais aussi… des spectateurs. Une superbe réalisation du collectif Mensuel. A voir.