Jeudi 19 décembre 2019, par Didier Béclard

La violence est en nous

Née dans la Roumanie communiste quatre ans avant l’exécution des époux Ceausescu, Ioana Paun s’intéresse au phénomène de « dissidence violente » ou comment des personnes apparemment équilibrées peuvent verser dans la violence. Présenté dans le cadre d’Europalia Arts Festival Romania, « The Birth of Violence » évoque cette violence sans jamais la montrer.

Le spectacle débute avec des images de marché de Noël, des rues de la capitale, où déambulent des promeneurs. Un personnage cagoulé s’incruste dans ces tableaux paisibles avant de brandir une arme de poing. Intérieurs simples, on retrouve Catherine, 52 ans, qui se dit créative, Cynthia qui vient de Bordeaux et apprécie la nature, les choses simples et authentiques, et Roland, 68 ans, retraité mais actif parce que « le jour où on s’arrête, on meurt ».

Ces trois citoyens ordinaires auxquels on ne prêterait pas l’oreille dans des circonstances « normales » sont mis sur la sellette : « comment réagirais-tu, si tu perds tout ? ». « Cela susciterait une folle violence, je n’aurais plus aucune raison de vivre », « soit rien, soit je me bats, je me venge », « je pourrais tuer les gens qui tuent ma famille ». En scrutant les prises de position des trois personnes, leurs gestes, expressions, réactions et émotions, Ioana Paun cherche à comprendre comment des gens sans histoire, sans prédispositions particulières, peuvent envisager de basculer dans une violence radicale.

Retour au théâtre des Tanneurs, en passant par les loges, la femme cagoulée apparaît sur le plateau, dans une combinaison noire arborant un logo Nike, le pistolet dans un holster qu’elle porte à l’épaule. Au tour du public d’être confronté à la question : si dans 1000 ans, les habitants du futur découvrent notre civilisation submergée par l’eau, l’absence de quel objet annulerait notre civilisation en tant que telle ? Un médicament à 100.000 euros permet de traiter 150 patients alors qu’un autre médicament plus performant et coûtant 2 millions d’euros permettrait de soigner 7 personnes. Que choisir, sachant qu’opter pour la deuxième possibilité reviendrait à tuer 143 patients.

Au gré de toutes ces interrogations et confrontations, la metteuse en scène roumaine explore les racines de la violence qui réside en chacun d’entre nous. La lassitude d’être traité comme un esclave alors que dans la vie on a le choix entre résister et capituler mais que la plupart du temps, on capitule. Le mécanisme humain de défense n’a, au final, d’autre but que de protéger l’ego des sanctions sociales et de s’interroger sur les récompense qu’octroie la civilisation en remerciement de notre docilité.

La pièce est plutôt brute dans son déroulement et sa scénographie mais elle a le mérite de poser des questions auxquelles on ne pense pas naturellement et le propos est plus qu’interpellant à une époque où la violence surgit de toutes parts. La morale de l’histoire pouvant se résumer à : « prends soin de l’État et l’État prendra soin de toi. Sauf s’il oublie... »