Lundi 7 mai 2012, par Charles-Henry Boland

La saison des boîtes

Le bonheur est cette chose fugace qui se cache dans la trame de l’existence : il est délicat d’en vouloir extraire le fil sans défaire le canevas entier. Chacun essaie ainsi de cultiver pour lui ces moments où nous semblons disparaitre dans notre bulle. Cette thématique du bonheur personnel est au coeur de Hako Onna, création de la chorégraphe Uiko Watanabe. Point de stylisation ni de grands moyens. Tout est tracé sur une toile de lin, aussi simplement que les pétales de cerisiers se détachent de leur branche. Malheureusement, cette danse du quotidien pourra sembler déforcée par sa fragile nature. Délicatesse ou inconsistance, le public aura le dernier mot.

Concrètement, il y a des boîtes. Tantôt objets, tantôt mondes intérieurs, les cubes cartonnés remplissent le double rôle d’habiller l’espace tout en étant ce qui le contient. Ce dispositif traduit intelligemment l’expérience de cette personne qui observe son jardin personnel, de l’intérieur comme de l’extérieur. On ne s’étonnera donc pas de voir une même boîte incarner un table, puis transformer subitement une danseuse en un corps angoissant, sans tête ni bras. Assurément, l’emploi de ces caisses, d’ordinaire si banales, a de quoi surprendre, même si l’on aurait apprécié une plus grande créativité.

Autre élément important, La narration du spectacle est réglée par le cycle des saisons, qui existent ici en tant qu’êtres singuliers. Leur fin réseau se déploie en gestes, couleurs, musiques et sentiments. La juvénilité du printemps laisse place à l’allégresse de l’été, puis L’automne mélancolique tire sa révérence devant le chagrin froid de l’hiver. Les saisons apportent un caractère chaque fois différent, et les jours défilent tranquillement au rythme de ces trois femmes qui marchent, dansent, s’endorment et pleurent. Ce curieux ballet est animé par une musique composite, mêlant joyeusement le répertoire classique et la pop japonaise déjantée.

Malheureusement, tous les tableaux ne sont pas d’égale qualité. Certains sont parfaitement séduisants, tandis que d’autres produisent une certaine indifférence. Il manque parfois une clef qui aurait permis de pénétrer le petit monde qui s’anime devant soi. La série d’estampes, que tracent les danseuses de leurs gestes, demeure à certains moments trop personnelle, trop intime pour que l’on soit réellement transporté. Encore que ce "défaut" est consubstantiel à la proposition. Les petits bonheurs sont fragiles et supportent mal la véhémence qu’impose quelquefois la danse contemporaine, avec ce danger qu’à trop les préserver, ceux-ci demeurent bien à l’abri, dans cette boîte qu’on n’aura finalement qu’entr’ouverte. Il n’empêche, cet Hako Onna est traversé par une poésie rare, et que l’on aimerait voir plus souvent sur la scène bruxelloise.

Charles-Henry Boland