Samedi 5 mai 2012, par Edmond Morrel

La belgitude lucide de Berenboom

Ecoutez la marge de Jacques De Decker, en version courte et en version longue

"Berenboom n’excelle pas seulement par ses dons de conteur et sa manière de camper des personnages récurrents que l’on retrouve avec un plaisir chaque fois croissant, mais aussi par le courage lucide avec lequel il aborde des questions que la Belgique s’est empressée de glisser sous le tapis."

"La marge" de Jacques De Decker se décline en trois versions. Le texte publié, le texte lu par l’auteur, et le commentaire improvisé par Jacques De Decker au micro de Jean Jauniaux.

La belgitude lucide de Berenboom

Jamais deux sans trois. L’adage, en l’occurrence, risque d’être bientôt démenti. Il est vrai qu’Alain Berenboom nous donne, avec « La Recette du pigeon italien », la troisième enquête de Michel van Loo, son détective privé attitré. Mais il ne se contentera pas d’une trilogie, cela paraît évident à la lecture de ce roman, qui surpasse, s’il est possible, les deux précédents, « Périls en ce royaume » et « Le Roi du Congo », ce qui n’était pas un mince défi. On n’a pas affaire au couronnement d’une triade, au dernier panneau d’un triptyque, mais plutôt à la mise à feu d’une étonnante traînée de poudre, dont on ne voit pas où elle s’arrêterait, d’autant que le lecteur, comme cela se passe souvent lorsqu’une telle épopée, en l’occurrence déridante, lui plaît, en redemande. Si un jour Berenboom veut se débarrasser de son limier pas toujours si futé, il devra s’en expliquer auprès de la communauté d’affidés que cette œuvre plurielle est en train de réunir autour d’elle.

Grand admirateur d’Hergé et de tous les maîtres belges de la fiction à épisodes, Berenboom leur emprunte le pas, mais en corsant le jeu. C’est en romancier qu’il construit son monde, avec tous les raffinements et les complexités que comporte le genre. Car il s’est imposé plusieurs défis en se lançant dans ce vaste projet. Non seulement il a dû ajuster des intrigues policières qui tiennent en haleine même les amateurs modérés du genre, ce qui n’est pas un mince exploit, mais il situe ses scénarios – car on ne voit pas pourquoi l’on ne verrait pas un jour ces histoires portées à l’écran – sur fond d’Histoire de Belgique. Pas la Belgique officielle, celle des manuels, de plus en plus rares il est vrai, mais toujours aussi mutiques sur la part d’ombre que dissimule le triangle enserré entre les Pays-Bas, l’Allemagne et la France, ce coin enfoncé dans la rive occidentale de l’Europe, au point d’être devenu le siège de la plupart de ses institutions politiques.

Car Berenboom n’excelle pas seulement par ses dons de conteur et sa manière de camper des personnages récurrents que l’on retrouve avec un plaisir chaque fois croissant, mais aussi par le courage lucide avec lequel il aborde des questions que la Belgique s’est empressée de glisser sous le tapis. Dans ses premières aventures, il a d’abord été questions des rivalités entre factions communistes, staliniens et trotzkystes juste après la guerre, puis des menées des colons belges au Congo avant 1960. Thèmes trop encombrants pour se voir abordés publiquement, entendons hors des centres de documentation où oeuvrent les chercheurs patentés.

Dans ces troisièmes retrouvailles avec Michel Van Loo et son pittoresques et attachant entourage, il s’agit, encore une fois, d’un sujet embarrassant : les accords pris entre la Belgique et l’Italie pour que des travailleurs péninsulaires viennent creuser, dans des conditions sociales effroyables, des galeries dans les gisements miniers des bassins de Wallonie. Berenboom ne se contente pas d’évocations lyriques dans la lignée de Pierre Paulus et de Constantin Meunier. Il investigue par figures fictives interposées, il creuse lui aussi au plus profond d’un système dont on ne mesurait pas le cynisme et la cupidité. Et, en nous administrant cependant des motifs d’hilarité à chaque page, il devient le chroniqueur inspiré et informé d’une autre Belgique qui n’a décidément pas beaucoup balayé devant sa porte.

Jacques De Decker

"La recette du pigeon à l’italienne" de Alain Berenboom, Editions Génèse.

Les "Marges" s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des "Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri" interprétées par Eliane Reyes

Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69

Référence : NAXOS 8.572530

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