Au chevet de sa mère agonisante, Latchek Bobitshek tente de dresser un bilan de son existence : "Ta mort, maman, est la mort de quelqu’un qui, indubitablement, a vécu ici-bas, et qui indubitablement n’y est plus." Comme pour s’excuser de ces vaines paroles, il lui promet un bel enterrement. Même si sa cousine Shratzia doit reporter le mariage de sa fille, prévu pour demain, elle y assistera avec toutes sa famille ! Quand elle entend frapper à sa porte, à deux heures du matin, celle-ci mesure d’emblée la gravité de la situation : la tante morte... 400 invités à prévenir... 800 poulets rôtis à la poubelle. Plutôt crever ! Avec détermination, elle persuade son mari de ne pas ouvrir la porte. Les sarcasmes de Tsitskéva, la future belle-mère pleine de mépris, la font bouillir. Une seule solution : fuir pour ne pas entendre la sinistre nouvelle.
Lancés dans une course-poursuite délirante, les futurs mariés et leurs parents font des rencontres surprenantes. Sur une plage battue par le vent, deux joggeurs vantent les mérites de leur sport, qui leur garantit un sursis de dix ans. Shahmandrina, un ascète bouddhiste, a pris racine, depuis quarante ans, au sommet de l’Himalaya. Rendus agressifs par la faim, les fuyards malmènent cette incarnation de la spiritualité pure. A bout de souffle, les deux pères sont largués et pris en charge par Angel Samuelov. Cet ange de la mort les aide à passer de la vie au trépas, en les convainquant que l’âme s’échappe du corps. Comme un pet.
Leur disparition passe totalement inaperçue. Ces hommes ne font pas le poids. L’un prétendait avoir réussi dans la vie : ’"J’ai fondé une famille, acheté un appartement et organisé le mariage de ma fille." L’autre apparaissait comme le champion de la plaisanterie qui tombe à plat. Tiraillé entre sa promesse à sa mère, le soutien d’un professeur bizarre et les manipulations de sa cousine, Bobitshek subit les événements. Les mères, par contre, manifestent une pugnacité inébranlable. Intuitive, machiavélique, Shratzia mène le jeu, avec une hargne stimulée par les railleries de Tsitskéva. L’une se bat comme une lionne pour sauver le mariage, l’autre crache son fiel pour défendre son clan. Toutes deux écrasent leurs enfants, manipulés comme des pantins. Pour remporter une victoire dérisoire : "Oh, comme il est bête et fade votre amour, quand on pense au mal qu’on s’est donné, à la souffrance que nous a coûtée votre mariage." constate Tsitskéva.
En faisant s’affronter des personnages âpres, au langage brutal, parfois grossier, Levin nous entraîne dans une fable cruellement joyeuse. Avec une ironie mordante, il y dénonce l’individualisme forcené, le repli sur les biens matériels, le culte du jeunisme, le refus du deuil et la peur de la mort. Lancée par une chanson grinçante sur la vanité de l’existence, la farce adopte un rythme endiablé, mais après la cavalcade, l’intrigue s’essouffle. Un fléchissement combattu efficacement par la vitalité des acteurs et la souplesse de la mise en scène. S’inspirant du cabaret cher à Levin, Michael Delaunoy a invité sa troupe à utiliser les "moyens du bord". Pas de décors encombrants, mais quelques éléments faisant appel à l’imaginaire des spectateurs et au talent des comédiens. Débordant d’énergie, certains personnages dominent les échanges percutants. Cependant en chantant et en se servant d’instruments parfois inattendus, ils laissent percer leur fragilité. Hanokh Levin aime l’homme, parce qu’il est petit.