Chapeaux à voilettes, châles. Les tableaux sont particulièrement pittoresques. De jolies jeunes villageoises en habits noirs pour la plupart. On tresse des fleurs, on brode des paillettes sur des voiles, on plie du linge, des hommes silencieux regardent. Voilà le chœur planté. Il sculptera avec grande fluidité toute la tragédie, faisant émerger une sagesse qui ne peut se nourrir des passions extravagantes. Ah ! Que l’on aime tout ce petit peuple de figurants (élèves du Conservatoire Royal de Bruxelles) !
Survient la Folie personnifiée. Hélène Theunissen, une comédienne chevronnée l’incarne, avec toute la violence dramatique dont elle est capable. La Médée d’Euripide est déchirée entre son amour pour Jason et sa colère d’être remplacée par une autre femme. Ses imprécations sont des explosions de rage et de douleur incontrôlables. Elle renverse échelles et guirlandes. Elle se lamente sur la problématique de l’étranger qui doit faire beaucoup de concessions pour être accepté par la cité où il vit. Thématique qui traverse les siècles. Aussi la magicienne trahie choisira d’accomplir un acte odieux pour toucher Jason au plus profond de son être… Médée, une terroriste, quoi ! Dont on dira que, bien que mère criminelle, elle est une femme courageuse qui s’élève seule contre le pouvoir des hommes. Elle est habile, pleine de mauvaise foi, profite de la moindre occasion pour mettre en œuvre ses sombres desseins, endort les soupçons, ironise, manipule à mort.
Les discours maladroits du très lâche Jason (un très convaincant Stéphane Ledune) sont mielleux à souhait et ne manquent pas d’habile hypocrisie. S’il se remarie, c’est… pour protéger ses enfants, dit-il ! Pathétique et humain ! Et le chœur de commenter que si Jason a été injuste, nul malheur n’est plus grand que d’être loin du sol natal ! On oublie de dire que la noble Corinthe a accueilli des fuyards criminels…
Mais ce qui passe le moins dans le texte lourd comme du plomb fondu, c’est que la vengeance personnelle prend le pas sur l’amour des enfants. « Tuer les enfants, rien ne ravagera plus mon mari ! » Euripide décrit une folie destructrice que tous les Grecs craignaient le plus au monde : la vengeance. La folie frôle de près le culte de la mort et on revient de ce spectacle fort meurtri. « La passion a eu raison de ma raison » dit-elle en lavant une dernière fois ses enfants aux portes de la ville ! Le feu empoisonné de la vengeance de l’exil et de l’adultère consumera le roi et sa fille. Le peuple en habits de fêtes nuptiales déplore : « Le sort favorise celui-ci, celui-là mais qui est heureux ? Personne. Zeus dans l’Olympe organise bien des choses, à l’inattendu, les dieux livrent passage… » Ouf ! La distribution inclut quelques-uns de nos comédiens préférés : Jaoued Deggouj, Bernard Marbaix, Sylvie Perederejew ,Dolores Delahaut. Seul le petit peuple fait un peu de bien dans cette sombre tragédie où les protagonistes, hommes et femmes donnent une piètre image de notre condition humaine !
Le mot de la fin revient évidemment au metteur en scène : Nous voudrions, toute l’équipe et moi, que le spectateur suive la représentation comme un acte de foi, qu’il soit aussi inquiet, aussi envoûté, aussi fixé sur l’évènement qu’on lui propose que s’il assistait à un sacrifice. Nous aimerions que le spectateur ne se reconnaisse que dans les sentiments extrêmes, hors de toute contingence quotidienne, qu’il soit pris dans un kaléidoscope de sentiments violents, comme dans un rituel, à travers les sens, la sensibilité et la disponibilité spirituelle. MEDEE est pour nous, non seulement la tragédie de la vengeance et de l’exil, mais un véritable sacrifice rituel. La cérémonie de la passion déchaînée dans toute sa splendeur. Son horreur absolue. Dominique-Hélène Lemaire