On ne s’attend pas, en effet, à ce que le spectacle commence par un bord de scène. C’est pourtant ce qu’annonce un sympathique animateur (Baptiste Sornin). Il présente les comédiens sortant des coulisses, leur pose quelques questions creuses, en ignorant leurs balbutiements, puis invite le public à... nourrir la discussion. Certaines questions relèvent du caprice. Très complaisants, les acteurs acceptent d’illustrer la contagion du rire, un exercice appris au conservatoire, et même de rejouer le début de la pièce, pour une spectatrice arrivée en retard. Une reprise qui accentue l’absurdité de ce démarrage.
Puisqu’il faut meubler un temps mort, les comédiens se livrent à un deuxième exercice : détendre les muscles du visage pour qu’il devienne amorphe... Noir sur la scène... On rallume la salle. Le pseudo directeur du théâtre accueille chaleureusement le public et tient à le rassurer : le spectacle ne dure qu’une heure et sera entrecoupé par un entracte, occasion de déguster les spécialités du Varia... Enfin ! Le rideau se lève. Sur un diaporama géant. Vêtus de peaux de bêtes, les comédiens illustrent l’évolution de l’homo erectus à l’homo sapiens. Celui-ci doit sa supériorité à sa capacité d’inventer des fictions, des récits fédérateurs. Les tremblements de cet homo sapiens, saisi par un froid sibérien, détériorent la bande sonore. Au pied levé, le pseudo directeur se charge de la voix off.
Amusé par ce gag, le spectateur est à l’affût des incidents techniques, des échanges absurdes et des situations farfelues. Il est servi. Un livreur de repas fait irruption dans la grotte préhistorique. "La salle est sous contrôle", hurle un flic exalté. Mise en abîme : le comédien se noie dans le drame qu’il est censé jouer. Manifestement les hommes n’arrivent plus à miser sur l’imagination et à communier dans la fiction. Englués dans la recherche du confort et leurs préoccupations futiles, ils semblent dépassés par les machines. Ainsi cet aspirateur débranché les nargue, en redémarrant tout seul.
La savoureuse parodie du débriefing est jubilatoire et aiguise l’appétit du spectateur. Malheureusement il reste sur sa faim. Plusieurs gags originaux, des mises en garde justifiées, mais aussi un spectacle éclaté qui s’essouffle et se met à patiner. En cause : la faiblesse de la progression dramatique et notre manque d’empathie pour les personnages. Dans "Obsolète", Alice, Marie et Hervé nous ressemblaient. Ils vivaient nos contradictions face à la crise écologique et aux dérives de la société de consommation. Dans "Rater mieux, rater encore" (2019), ils nous faisaient rire par leur humour noir et nous touchaient. Leurs maladresses de clowns tristes reflétaient nos faiblesses. En jouant "Juste encore assez de lumière pour les plantes d’intérieur", ils sont successivement des comédiens piégés, des primates caricaturaux et des acteurs/ auteurs flottant entre jeu et réalité. Ils stimulent notre esprit critique, mais n’éveillent pas d’émotions.
Photo : Olivier Donnet