Vendredi 12 novembre 2021, par Catherine Sokolowski

L’indispensable besoin d’aimer

Démarrant sur des chapeaux de roue avec un échange tonitruant entre quelques ados, la nouvelle création de Joël Pommerat surprend. Pimentée d’argot et teintée d’humour, cette première saynète à des allures de chorégraphie verbale. Le garçon, nerveux, se demande si son interlocutrice est un robot. Les thèmes sont définis, ce soir, on parlera adolescence et androïdes. L’intervention des robots permet de développer le sujet principal, à savoir la difficulté pour les enfants d’évoluer sereinement. L’éducation lacunaire, les problèmes d’identité et les influences extérieures engendrent des incertitudes et des dysfonctionnements qui sont décortiqués par le metteur en scène à travers une succession de sketchs basés sur la vie quotidienne. Comme d’habitude avec Pommerat, du tout grand théâtre !

Dans un monde qui s’apparente au nôtre, les parents peuvent acquérir un robot pour accompagner les enfants entre 8 et 15 ans. Présentés comme une solution éducative et pédagogique, ces robots ont une apparence humaine, tout en conservant une certaine rigidité de mouvement. Parfois, leurs réponses sont inadaptées « Tu crois qu’on pourrait s’entendre ? » demande un enfant à son compagnon potentiel. Réponse inattendue de l’androïde : « Je t’entends déjà très bien ».

Les parents achètent un robot pour être soulagé des tâches quotidiennes. L’enfant, laissé de plus en plus souvent seul avec son nouveau partenaire, s’y attache. Pour éviter cette humanisation du robot, l’enfant doit s’en séparer au début de l’adolescence, alors que l’intelligence artificielle de la machine l’a précisément formaté pour être parfaitement compatible avec son compagnon humain.

Les thèmes de la masculinité et de la féminité sont également au centre de la pièce, à différents niveaux. Dans l’une des scènes, de jeunes garçons suivent une formation pour devenir des hommes, des vrais. Qui est qui ? Les acteurs interprètent moulte rôles avec une précision inouïe. Un des critères de recrutement a été la taille, ils devaient être petits puisqu’ils tiennent des rôles d’enfants. Un casting surprenant mais nous ne vous en dirons pas plus si ce n’est que qu’ils sont tous au top.

Alors que les enfants résistent, certains parents ont complètement démissionné. Comme le dit un père accablé, ce n’est pas sa faute, il est confronté aux « limites des personnes humaines ». Métaphore des dangers de la société contemporaine, la pièce séduit par le ton léger qu’elle adopte pour aborder des sujets graves. Les androïdes sont gentils et drôles, parfaitement interprétés par des humains qui s’en donnent à cœur joie. Un spectacle qui séduira incontestablement un très large public. Chapeau bas, Monsieur Pommerat !

Crédit photo : © Elizabeth Carecchio