Mercredi 4 mai 2022, par Yuri Didion

L’espace pour dramaturgie

Avec Room, James Thiérrée nous invite à réfléchir à la question du sens : le spectacle est-il tenu à transmettre un message fort, limpide et clair ? Cette ligne dramaturgique, difficilement évitable pour le public, doit-elle être le maître-guide de la création, son nord magnétique ? Peut-on construire un spectacle depuis la physicalité, sans chercher absolument à transmettre et, finalement, faire confiance aux spectateurs pour se créer leur chemin signifiant et particulier ? Un travail qu’il expérimente avec cet humour légèrement satirique et l’excellente technique qu’on lui connait.

D’un point de vue formel, Room se refuse à la catégorisation : c’est un mélange hétéroclite de numéros circassiens, de danse contemporaine, de comédie musicale, de concert rock, et de scènes dramatiques. Même chose du point de vue stylistique, puisqu’on oscille entre l’humour et le tragique, entre la critique et l’horrifique, selon les sensibilités de chacun. Une densité qui rend le compte-rendu difficile (et peu intéressant), à moins de tenir, minute par minute, la liste de tout ce qu’il se passe. Il faut alors, peut-être, accepter de ne pas inscrire, ne pas graver dans le marbre un sens unique, pour se laisser plutôt porter par l’abondance de sensations qu’offre le spectacle.

Un éclectisme qui est peut-être à la fois la force et la faiblesse du spectacle, car s’il offre énormément à voir, il est sans doute à la source de quelques longueurs. Mais auraient-elles été évitables ? Devraient-elles l’être ? Ces petits moments d’ennuis ne font-ils pas aussi partie intégrante du spectacle ? Difficile à dire. Et il n’est absolument pas sûr que les spectateurs identifieront les mêmes, tant cela dépend probablement de nos sensibilités. Fort heureusement, le spectacle ne s’enlise jamais dedans : tout s’enchaîne avec un solide sens du rythme et de la rupture, qui vient réveiller la curiosité, l’intérêt, la surprise. On redécouvre ainsi avec un grand plaisir des numéros hyper-classiques (la valise insoulevable, le jeu du traducteur, etc), intégrés dans un ensemble aux allures plus contemporaines et, parfois, déroutantes.

Mais alors, que regardons-nous ? Ca pourrait être l’histoire d’un homme confiné dans sa chambre, et tout ce qu’il s’y passe : il rêvasse, invite des amis, écoute de la musique, fait l’amour, danse frénétiquement, tente de repousser les murs, refais la déco, cherche à sortir, ... Ou celle d’un artiste aux prises avec sa création : il la planifie, engage ses artistes, gère l’équipe et les tensions, cherche le sens dramaturgique, organise la scénographie, fait face aux imprévus, ... Ou bien celle d’un type aux prises avec toute une série de frustrations, tour à tour personnelle et professionnelles, d’ordre interne ou externe, statique ou dynamique.

C’est également un spectacle doté de moyens solides : une grande équipe de profils polyvalents, tour à tour musiciens, acrobates, comédiens, manipulateurs, ... ; un décor massif, cette chambre qui se transforme, se déplace, se déconstruit et se réinvente au fur et à mesure du spectacle au point de tenir, elle aussi, un rôle majeur ; une musique originale qui présente des morceaux de rock, de blues, de jazz, ... ; bref, une source d’émerveillement pour le public. Mais pas seulement ! En effet, le spectacle contient aussi des parties plus sombres, des ambiances plus en tension qui peuvent parfois mettre mal à l’aise.

Si vous espérez en prendre plein les yeux et les oreilles, ne ratez pas l’occasion : vous serez émerveillés. Mais soyez aussi prêt à être surpris : si Room s’inscrit dans le style inimitable de James Thiérrée, il se distingue également des précédents spectacles à bien des endroits.

Yuri Didion

Photo : Richard Haughton