Jeudi 14 avril 2016, par Catherine Sokolowski

L’enfer du décor

C’est dans un monde étrange, intimiste, original et froid que Morgane Choupay reçoit son public d’un soir. Jupe rouge virevoltante et talons assortis, Morgane incarne une jeune femme pimpante évoluant dans une cuisine blanche vintage, habitée par une famille d’appareils ménagers rutilants. Avec Ployboy, duo d’artistes plasticien et musicien, la comédienne propose un conte d’inspiration lynchéenne signé par la hollandaise Esther Gerritsen. Une belle découverte que chacun interprètera à sa guise.

Une femme pèle une pomme de terre. Cette tâche doit accaparer toute son attention. Ensuite elle pourra commencer à attendre “son homme” jusqu’en fin d’après-midi. Cette attente doit commencer à temps, ni trop tard, ni trop tôt, sinon l’homme reviendrait avant la fin de l’attente et envahirait son univers, ce qui serait encore pire. “Il faut qu’il arrive au climax de son attente”.

Son environnement est entièrement constitué d’appareils ménagers : Electrolux l’aspirateur, Candy la hotte ou Kenwood le mixer pour ne citer qu’eux. A la recherche d’une sérénité bâtie sur un monde matériel, elle ne veut plus rien attendre ou désirer. Les frontières entre fiction et réalité sont floues mais cette femme semble compenser un désordre intérieur profond de manière excessivement rationnelle. Le texte se présente comme une description de cette instabilité mais aussi comme une réflexion sur l’hyper-matérialisme contemporain.

Cette quiétude artificielle est un leurre et l’humanité revient régulièrement à la charge, affrontant ce drôle d’arrangement avec violence. Morgane Choupay est très convaincante dans ce rôle complexe de femme-objet vacillante. Ses comparses David Chazam et Val Macé (Ployboy) l’encadrent avec brio : les deux artistes pluridisciplinaires confèrent à ce récit mystère et étrangeté en donnant vie aux objets qui l’obsèdent. Même si l’on en ressort surpris (faut-il rire ou pleurer de ce balais électro-ménager ?), ce spectacle vaut certainement le détour. Fruit d’une rencontre d’influences multiples telles que Lynch ou Pommerat, il propose une alternative intéressante.

Catherine Sokolowski