Mardi 19 mars 2013, par Laura Bejarano Medina

L’éloge de la folie

C’est à mille lieues des sombres palais de Shakespeare que prend place le célèbre drame familial de Hamlet. Dans cette version atypique et modernisée, Michel Dezoteux signe le premier volet d’une trilogie sur le thème de la folie. Il prend le contre-pied de la tragédie et réussit le pari osé de casser l’image d’une pièce emblématique en offrant au public un spectacle qui impressionne par des choix brillants et extravagants.

Nul doute que personne ne s’attend à retrouver le jeune Hamlet dans son costume cravate débraillé, complètement ivre au milieu de ce qui ressemble à une boîte de nuit de luxe, avec ses lumières fluorescentes et ses fauteuils opulents en cuir rouge. Sur scène, un petit orchestre accompagne en live les moments de jeu et de chant des comédiens qui utilisent les micros pour donner une autre dimension au texte adapté en langage contemporain ou en chanson.

Dès le début du spectacle, cette ambiance de fin de soirée bien arrosée au rythme de musique disco en fond sonore, nous fait vite comprendre que le Hamlet de Dezoteux détonne avec celui de Shakespeare, à mesure que les personnages, au teint livide et aux yeux cernés de noir, révèlent des personnalités borderline. Aux côtés d’une Ophélie qui nous paraît bien loin de l’innocence avec ses allures de junkie et sa démarche lancinante (Fanny Marcq), d’une reine névrosée et parfois hystérique (Candy Saulnier) mais aussi d’un Polonius excentrique coiffé comme un savant fou (Blaise Ludik), tous les yeux sont rivés sur un Hamlet surprenant, interprété par le talentueux Karim Barras qui jongle avec la folie et la démesure comme un virtuose avec son instrument. L’acteur nous livre un Hamlet comme on ne l’a jamais vu ; cynique, désinvolte, provocateur. Pour renforcer la folie, il joue avec les ruptures de tons et d’énergie en passant sans cesse d’un extrême à un autre, d’un discours à un autre ou d’une émotion à une autre.

Cette folie, point de départ et fil conducteur de l’adaptation, confère au spectacle toute son originalité tant il s’éloigne des mises en scène classiques de Shakespeare. Omniprésente, elle se met au service de la vengeance de Hamlet puisque « la conscience fait de nous des lâches », elle exulte en chanson et en musique quand Ophélie prend le micro mais elle entraîne aussi des situations éclatantes et amusantes. L’accompagnement de l’orchestre, l’excentrisme des personnages, la création de nouveaux intervenants comme le fossoyeur ridicule et l’acteur superstar, l’importance du second degré, le jeu délirant des comédiens ou encore les adresses directes aux spectateurs pris à témoin dans cet univers décalé sont autant d’éléments qui permettent de dédramatiser le propos, la mort et les meurtres en tournant de nombreuses scènes au comique.

Même s’il peut choquer les plus fervents défenseurs de la tragédie shakespearienne par les excès de folie et de drôlerie, le Hamlet de Dezoteux s’apparente à un coup de génie tant il parvient à réinventer à contresens un monument du théâtre. Quoi qu’on en dise, ce spectacle étonnant ne manquera pas surprendre. Il tient la route sans perdre le spectateur, fasciné de rire de bon cœur devant ce qui lui semblait être une tragédie.

Laura Bejarano Medina