Lundi 22 février 2016, par Sébastien Hanesse

L’Enfant sauvage

Ce genre de truc, ça reste dans la tête. Comme le regard d’un enfant, ses cris, ses mots et son silence. Un regard qui cache des souvenirs, des mots qui dansent et se cognent dans la tête. Un regard qui n’oublie jamais, qui souffle et respire, qui souffre et puis inspire. Dans « L’Enfant sauvage », il y a une drôle de folie qu’on essaye de ne pas voir, ou qu’on essaye d’oublier, parce que cet enfants n’est pas le sujet de son histoire. Et il reste assis là, comme une bête, avec le regard dans ses yeux. Il salive, sans aucun mot, prêt à morde, sans aucune force pour attaquer. Quand le père s’en va et que la mère se retire, il ne reste que lui. Et si on en parle pas, on ne sait pas que ça existe. Céline Delbecq remet, le temps d’un spectacle, cet enfant au centre de son histoire. Elle nous livre un monologue au cœur de Bruxelles, elle laisse exploser les cris pour briser le mur de l’indifférence et partage à nouveau ses mots qui prennent aux tripes. Face à la réalité.

Un homme trouve un enfant sur la Place du Jeu de Balle, à la fin du marché aux puces. Il est le seul à le voir, à écouter ses cris, à croiser son regard, à s’approcher, à essayer de lui parler. Il nous raconte son histoire, et même s’il ne veut pas être père, il le devient malgré lui. Et derrière ce regard ordinaire se cache une autre bataille. Il découvre l’accueil d’urgence, le juge, la famille, la police, l’administration, l’adoption. Il emmène l’enfant dans cette chambre qui ne sent rien, avec un matelas fatigué. Il laisse faire les mots et révèle l’enfant. Alice, c’est son nom. Thierry Hellin incarne un homme simple aux gestes tendres. Il donne vie au texte et sublime les mots de Céline Delbecq. Il colore et illumine la scène sombre du Théâtre des Riches-Claires. Il transperce de part en part le corps et le cœur des spectateurs. Sa voix tremble un peu, parfois. Ses yeux brillent entre deux silences, comme pour nous dire que la réalité est là, dans la façon qu’il a d’être beau pour nous raconter l’insupportable cruauté de la vie. Il plonge avec nous dans cette tendre aventure parsemée de sensations quotidiennes, comme pour nous dire qu’il ne faut pas avoir peur, qu’il ne faut plus jamais s’éloigner.

Céline Delbecq est un mélange de poésie et de force, et parfois quelque chose nous échappe. Son jeu d’actrice dans « Les Filles aux Mains jaunes » au Théâtre Le Public nous bouleverse, la force de ses mots dans « Eclipse totale » au Théâtre Les Tanneurs fracasse nos cœurs contre un mur d’émotions. Dans « L’Enfant sauvage », elle écrit avec le ventre, avec la peau, avec les yeux. Dans ses mots, il y a toutes ces choses indicibles, toutes ces choses qu’on ne peut pas dire ou qu’on ne veut pas voir. Et si notre cœur est en dehors à chaque fois que ses mots nous touchent, c’est parce que toute la vie se trouve dans ses histoires et dans sa subtile manière de nous les raconter.