Mercredi 4 avril 2007, par Xavier Campion

Julie Annen

Cette jeune femme de 26 ans, est sortie diplômée de l’INSAS en 2005, et on peut dire qu’elle promet.

Julie Annen, prometteuse en scène

Septembre 2006, Anouchka Vingtier [1] me dit que je devrais interviewer Julie, car - sans jeux de mot - c’est une metteuse en scène très pro … 3 mois plus tard, Marion qu’elle met en scène actuellement pour Histoires d’Hommes [2] me dit pareil : la rencontre s’est passée de la même manière ; on leur présente Julie “et tout de suite ça a accroché ” À mon tour j’ai voulu l’entendre pour vous la présenter.

D’habitude - bien que cette habitude change de plus en plus - un metteur en scène choisit un texte puis sélectionne les comédiens avec lesquels il va travailler. Les jeunes acteurs sont donc souvent « soumis » à cette épreuve qu’est l’audition et ils se retrouvent dans une grande vulnérabilité face à quelqu’un dont ils ne partagent pas nécessairement le point de vue. Je trouve très beau et très important que les acteurs puissent porter un projet.
Julie Annen
Avec Anouchka, toute l’aventure a commencé un jour d’automne, dans un café d’Ixelles. Je ne la connais pas. Je l’ai vue jouer au Théâtre National et Isabelle Pousseur m’a dit : "J’ai donné ton numéro à Anouchka, vous devriez vous rencontrer." À la fin de notre premier rendez-vous, elle glisse dans ma main quelques textes qui la touchent et qu’elle a envie de partager. Je lis et la rappelle car un des textes m’a intéressée : les quatre premières pages d’Eros Médina.

Au tout début d’un travail, il n’est pas facile de deviner de quoi il sera fait. Beaucoup d’imprévus, d’accidents de parcours, de rencontres, ont enrichi ma perception d’Eros Médina… C’est un monologue : une petite forme fugace comme un sourire ou une larme retenue. Au centre du dispositif, une actrice et un tabouret. Autour le silence.

Ce qui m’intéresse c’est de trouver comment la parole émerge de ce silence et comment elle prend corps dans l’espace. Nous avons travaillé sur le rythme de la parole, sur les variations d’intensité sonores, sur l’alternance entre moments émotionnels et ceux de récits purs. Nous avons employé les ressources du langage pour transmettre une parole vivante. Il m’a semblé très important d’ouvrir des portes pour que le public puisse y pénétrer. Nous possédons tous cette force immense qui nous permet de voir et d’entendre des choses qui n’existent pas. Et j’ai eu envie de travailler avec l’imaginaire du public. De ne pas plaquer des images toutes faites, mais d’en suggérer et laisser au spectateur le loisir de les imaginer, de les rêver. Le fait que le public soit actif rend le rapport salle-scène plus poreux et permet une forme de dialogue. Une expérience partagée. Voilà ce dont je rêve quand je travaille… Julie Annen

Tu reprends cette expérience de mettre un monologue en scène avec Marion.

Cette fois, c’est Olivier Blin qui met un texte de Durringer dans ma boîte aux lettres. Il me propose de rencontrer la comédienne qui va le jouer. “ Vous vous rencontrez, vous travaillez un peu ensemble, si l’une d’entre vous ne le sent pas : on arrête tout ”. Je n’avais pas envie de m’engager sans garde-fou parce qu’un monologue exige un rapport « intime » avec la comédienne. C’est un travail risqué, à plus forte raison quand on ne porte pas le projet. Le rapport de pouvoir qui se joue là peut être très destructeur. Marion avait envie de jouer ce texte, elle avait acheté les droits d’auteur, elle voulait le monter et elle n’avait pas envie d’avoir en face d’elle quelqu’un qui allait la faire « chier ». De mon côté, pas question de me laisser « bouffer ». Nous avons été manger avec Olivier et Léonil Mc Cormick. Au bout de vingt minutes, nous parlions toutes les deux comme s’ils n’étaient plus là. On a commencé à faire des lectures chez elle, chez moi … et puis voilà, on a eu envie de travailler ensemble.

Comment avez vous appréhendé ce travail, j’ai l’impression qu’il s’est établi une grande complicité entre vous ?

En effet, au-delà du texte, il y a eu entre nous une vraie rencontre. Malgré - ou peut-être grâce à - notre différence d’âge, nous nous ressemblons beaucoup.

Dans le travail, on a commencé par se raconter des histoires, avec cette complicité que pourraient avoir une grand-mère et sa petite-fille. Du coup on est parti de cette relation-là et de beaucoup de tendresse l’une pour l’autre. La pièce est une succession d’histoires de femmes qui parlent des hommes, et tout naturellement on s’est raconté des histoires d’hommes toutes les deux. On a beaucoup rigolé ensemble, parfois même pleuré. Quand Marion sort des histoires de son baluchon, elle a de quoi émouvoir les gens : elle joue franc-jeux.

Et pour les répétitions ?

Avec Marion, il y a une question qui ne se pose jamais, c’est de savoir qui a raison et qui a tort. J’avais peur que quelqu’un qui a 50 ans d’expérience me « censure ». Mais pas du tout. Je marche sur du velours. J’ai quelqu’un en face de moi qui répond et qui fait. Il faut voir la curiosité qu’a cette femme. Et elle essaye. Il n’y a jamais eu aucune de mes idées qu’elle a repoussée sans l’essayer. Et quand je dis essayer, c’est essayer vraiment ! Je crois que les gens ne la connaissent pas. Ils se font une idée fausse parce qu’ils l’ont vue à la télé. C’est vraiment quelqu’un de surprenant. Je ne la connaissais pas du tout.
histoires d'hommes
Dans le travail, je lui propose de partir uniquement du jeu et de sa capacité à raconter des histoires. Nous recherchons ensemble un jeu épuré, proche de la narration… Même si parfois j’ai l’impression que cela lui fait un peu peur parce qu’elle a d’autres habitudes, elle est très ouverte et n’hésite pas à aller vers des choses qui lui sont moins connues.. Et moi, je suis obligée de faire la même chose : elle a des réflexes liés à son expérience et il faut les garder - je ne vais pas changer Marion. Il n’y a presque rien, un petit décor, très peu de son et des lumières très simples : elle accepte ce danger-là ! Elle fait un excellent boulot ! Je l’imagine sans problème plus souple que certaines comédiennes moins âgées mais déjà étriquées, carrées, fermées, qui disent qu’elles ne peuvent pas faire de théâtre si elles n’ont pas ci ou ça.

Pendant les congés de Noël j’ai emmené mon petit fils voir La Sorcière du Placard aux Balais [3]. Surprise : c’est toi - que par 2 fois on m’a dit d’interviewer - qui en assure la mise en scène ! Et puis c’est aussi le travail de ta propre compagnie. J’ai trouvé beaucoup d’inventivité dans ce spectacle et tous les enfants dans la salle étaient ravis. Excellent jeu de lumières pour le suspense, puisque tu assures également la régie…

La Sorcière du Placard aux Balais c’est une super-bonne surprise ! C’était un projet de fin d’études. À la fin de l’année scolaire, on s’est dit “c’est fini, on l’a joué et on a nos diplômes en poche !” Et puis, pas du tout : nous avons eu l’occasion de le reprendre et on nous a encouragés à le présenter aux Rencontres de Huy. Nous avons été soutenus notamment par Jean Debefve et les gens du Théâtre Océan Nord où nous avons passé la pré-sélection. Suite à notre passage à Huy [4] nous avons commencé à tourner un peu partout. Nous rentrons de Suisse et nous repartons bientôt pour la Russie pour des représentations qui seront traduites en simultané ! Parmi les rencontres que nous avons faites, il y a notamment eu Joël Simon, l’organisateur du Festival Méli’ Môme de Reims. Il est venu voir la Sorcière en décembre 2006 et il nous a dit “Je trouve ça bien, je ne vous prends pas ce spectacle-là, mais j’ai envie de faire un pari et je vous prends le prochain”. Cela veut donc dire que pour l’édition 2008 de Méli’ Môme, nous serons programmés avec notre nouveau spectacle jeune public Messieurs les Enfants [5] qui est encore en cours d’adaptation. Nous serons aussi dans d’autres Festivals comme Momix en Alsace
Julie Annen
C’est autour de ce spectacle que nous avons fondé « Pan ! La Compagnie » [6] qui est à la fois notre outil de travail et notre identité commune à tous les 5. Nathalie (Mellinger), Achille (Ridolfi), Peter (Palasthy), Anton (Tarradellas) et moi, avons du plaisir a travailler ensemble. Ce qui ne nous empêche pas de travailler chacun de notre côté comme je l’ai fait pour la mise en scène d’Anouchka ou de Marion. Ensemble nous travaillons sur nos propres spectacles et à côté de cela, on fait aussi un peu d’aide à la production pour les jeunes compagnies. J’ai fait une formation à la Communauté Française en production parce que ça m’intéressait de savoir comment ça fonctionne, comment on embauche des gens, comment on les déclare. La production dans ce milieu-là n’est pas facile, il n’y a pas beaucoup d’argent et il faut arriver à faire au mieux pour que tout le monde soit satisfait. C’est un métier de magicien ! Arriver à satisfaire le fantasme du metteur en scène avec un minimum de sous.


Quels sont vos projets avec Pan ! La Compagnie ?

Notre prochain projet commun, c’est La Tempête, un spectacle qu’on jouera du 25 septembre au 6 octobre 2007 au Théâtre Océan Nord. Ça aussi c’est aussi un gros pari.


C’est chouette de jouer la tempête à l’Océan Nord !

C’est pas seulement chouette pour le nom, c’est surtout que l’équipe de l’Océan Nord nous tient vraiment à cœur . Ils nous ont soutenu dès le début. C’est un lieu super accueillant, vraiment très respectueux des gens qui sont là. Ils ne sont pas du tout inquisiteurs. En plus ce sont des chouettes gens, je veux dire honnêtes et intègres. Quand ils soutiennent quelqu’un, ils soutiennent la démarche et pas le résultat. Et ça c’est rare. C’est vraiment précieux parce qu’ils n’empêchent pas les démarches des artistes en les conditionnant. Donc c’est une belle rencontre avec eux. Voilà pour les projets.

Et ce n’est pas tout, Julie a aussi réalisé un film avec des détenus, dans le cadre de la justice réparatrice. Enceinte, elle a participé à l’aventure du Tannhaüser de Jan Fabre à l’Opéra Royal de la Monnaie.
Comme je vous le disais : Voilà une prometteuse qui promet… Et nous promet encore beaucoup de plaisirs.

Agenda des prochains spectacles en Belgique :

• Histoires d’Hommes de Xavier Durringer
Au Théâtre La Valette à Ittre du 15 mars au 15 avril 2007
Le 26 avril à l’Espace Delvaux

• La Sorcière du Placard aux Balais (théâtre jeunes publics à p. de 5 ans)
Les Chiroux, Liège le 06 avril – 15 heures
CC Dison le 18 avril – 15 heures
Théâtre Marni à Ixelles 21 avril – 18 heures (Pierre-de-Lune
CC Seneffe le 22 avril
CC Uccle le 23 avril – 10 et 13:30 heures
CC Sprimont le 24 avril – 13:45 heures
CC Forest le 26 avril – 10 et 13:30 heures
CC Braine Burdinne le 27 avril – 11 heures

et encore une dizaine de dates en mai et juin avant la saison prochaine

• La Tempête de W. Shakespeare
Théâtre Océan Nord du 25 septembre au 6 octobre 2007

• Messieurs les enfants ( titre provisoire)
Festival Mêli-mômes édition 2008

Notes

[1Septembre 2006 : Julie Annen signe la mise en scène d’Eros Medina de Thierry Debroux, (paru chez Lansman) création à la Balsamine

[2Mars 2007 : Julie Annen signe la mise en scène d’ Histoires d’Hommes de Xavier Durringer, écrit pour l’actrice Judith Magre, cette fois jouée au Théâtre de La Valette par Marion

[3La Sorcière du Placard aux Balais est un des Contes de la Rue Brocca de Pierre Gripari

[4Lors des Rencontres de Huy en 2006 , ce spectacle a obtenu le Prix du Kiwanis et la Mention du jury pour la spontanéité ludique du jeu théâtral

[5Adaptation du roman éponyme de Daniel Pennac

[6Pour contacter Pan ! (La Compagnie) : <nellycoptere@hotmail.com>
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