Dimanche 29 octobre 2017, par Catherine Sokolowski

Journal d’une complicité passive

Dans ce spectacle, Janine Godinas endosse pendant quelques dizaines de minutes les responsabilités de Theresa Stangl, épouse d’un bourreau SS. Frantz Stangl a été, entre autres, commandant de Sobibor et de Treblinka. « Les raisons de ne plus l’aimer, moi, je les ai contournées ». Effectivement, Theresa s’est contentée de réponses vagues et de mensonges, là où elle n’aurait pas dû fermer les yeux. Magnifique interprétation de Janine Godinas dans ce rôle de femme lâche et antipathique qui utilise l’amour pour excuser l’inexcusable.

A l’origine du monologue théâtral, un livre écrit par Gitta Sereny, journaliste britannique ayant longuement interviewé Frantz Stangl, arrêté en 1967, puis sa femme, après la mort de ce dernier en 1971. Nicole Malinconi, brillante auteure belge a transformé ce recueil d’interviews pour le théâtre en imaginant que Theresa apportait une nouvelle lecture des événements. La mise en scène sobre et intimiste de Jean-Claude Berutti est centrée sur l’actrice qui démontre une fois de plus l’étendue de son talent.

Un grand miroir, un confortable fauteuil, un papier peint désuet décoré de plantes exotiques, une petite table surmontée d’une lampe et d’un cendrier. L’atmosphère tamisée prête à la confession. Theresa revient sur les événements du passé, depuis 1938, date de l’adhésion de son mari autrichien au parti nazi, en passant par les années de guerre à Sobibor et Treblinka, puis sur la fuite de la famille en Syrie, et enfin sur les seize années de quiétude dans une belle maison au Brésil.

Bien sûr, Theresa s’est posé des questions. Lors de l’adhésion au parti SS, ou encore, plus tard, en entendant le commentaire d’un lieutenant : « c’est terrible ce qu’on fait ici ». Oui, seulement Frantz, fonctionnaire, n’avait qu’un rôle administratif. Ce n’est pas lui qui tuait les juifs ! Parfois elle a été jusqu’à se refuser à lui, le corps avait compris mais l’esprit restait fidèle au bourreau. Elle a passé toutes ces années à trouver des excuses pour se disculper, la naissance d’un enfant, la fin de la guerre, l’absolution par le Père Mario. Elle n’a jamais vraiment réagi, selon elle, l’amour a été le plus fort. La complicité passive devenant assez évidente, Gitta Sereny pousse Theresa dans ses derniers retranchements et lui pose une question fondamentale (qu’on ne dévoilera pas ici). Septante-cinq minutes intenses, une interprétation magistrale, beaucoup de rigueur dans l’analyse psychologique du personnage et une très belle mise en scène, en résumé, un spectacle à recommander.